Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/207

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le recevoir à genoux selon l’ancienne coutume. En un mot, ils changent toutes choses dans leurs liturgies pour la conformer aux nouveaux articles de leur foi, et ils ont aussi le droit de juger de ces articles avec leur parlement, comme le pape avec le concile, ainsi que l’on peut voir dans les statuts d’Angleterre et d’Irlande faits au commencement du règne de la reine Élisabeth. Enfin on peut dire que les rois d’Angleterre ont même plus de pouvoir sur le spirituel que sur le temporel de leurs sujets ; parce que ces misérables peuples et ces enfants de la terre se soucient bien moins de la conservation de la foi que de la conservation de leurs biens, ils entrent facilement dans tous les sentiments de leurs princes. pourvu que leur intérêt temporel n’y soit point contraire[1].

Les révolutions qui sont arrivées dans la religion en Suède et en Danemark, nous pourraient encore servir de preuve de la force que quelques esprits ont sur les autres ; mais toutes ces révolutions ont encore eu plusieurs autres causes très-considérables. Ces changements surprenants sont bien des preuves de la communication contagieuse de l’imagination, mais des preuves trop grandes et trop vastes. Elles étonnent et elles éblouissant plutôt les esprits qu’elles ne les éclairent, parce qu’il y a trop de causes qui concourent à la production de ces grands événements.

Si les courtisans et tous les autres hommes abandonnent souvent des vérités certaines, des vérités essentielles, des vérités qu’il est nécessaire de soutenir ou de se perdre pour une éternité ; il est visible qu’ils ne se hasarderont pas de défendre des vérités abstraites, peu certaines et peu utiles. Si la religion du prince fait la religion de ses sujets, la raison du prince fera aussi la raison de ses sujets ; et ainsi les sentiments du prince seront toujours à la mode : ses plaisirs, ses passions. ses jeux, ses paroles, ses habits, et généralement toutes ses actions seront à la mode ; car le prince est lui-même comme la mode essentielle, et il ne se rencontre presque jamais qu’il fasse quelque chose qui ne devienne pas à la mode. Et comme toutes les irrégularités de la mode ne sont que des agréments et des beautés, il ne faut pas s’étonner si les princes agissent si fortement sur l’imagination des autres hommes.

Si Alexandre penche la tête, ses courtisans penchent la tête. Si Denis le tyran s’appIique à la géométrie à l’arrivée de Platon dans Syracuse, la géométrie devient aussitôt à la mode, et le palais de ce roi, dit Plutarque, se remplit incontinent de poussière par le grand nombre de ceux qui tracent des figures. Mais dès que Platon se met en colère contre lui, et que ce prince se dégoûte de l’é-

  1. Art. 17 de la Religion de l’Églíse anglicane.