Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/210

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fants à l’égard de leurs parents, parce que les enfants sont dans une dépendance toute particulière de leurs parents ; que leurs parents ont pour eux une amitié et une tendresse qui ne se rencontre pas dans les autres, et enfin parce que la raison porte les enfants à des soumissions et à des respects que la même raison ne règle pas toujours.

Il n’est pas absolument nécessaire, pour agir dans l’imagination des autres, d’avoir quelque autorité sur eux et qu’ils dépendent de nous en quelque manière ; la seule force d’imagination suffit quelquefois pour cela. Il arrive souvent que des inconnus, qui n’ont aucune réputation, et pour lesquels nous ne sommœ prévenus d’aucune estime, ont une telle force d’imagination, et par conséquent des expressions si vives et si touchantes, qu’ils nous persuadent sans que nous sachions ni pourquoi, ni même de quoi nous sommes persuadés. Il est vrai que cela semble fort extraordinaire, mais cependant il n’y a rien de plus commun.

Or cette persuasion imaginaire ne peut venir que de la force d’un esprit visionnaire qui parle vivement sans savoir ce qu’il dit, et qui tourne ainsi les esprits de ceux qui l’écoutent à croire fortement sans savoir ce qu’ils croient. Car la plupart des hommes se laissent aller à l’effort de l’impression sensible qui les étourdit et les éblouit, et qui les pousse à juger par passion de ce qu’ils ne conçoivent que fort confusément. On prie ceux qui liront cet ouvrage de penser à ceci, d’en remarquer des exemples dans les conversations où ils se trouveront, et de faire quelques réflexions sur ce qui se passe dans leur esprit en ces occasions. Cela leur sera beaucoup plus utile qu’ils ne peuvent se l’imaginer.

Mais il faut bien considérer qu’il y a deux choses qui contribuent merveilleusement à la force de l’imagination des autres sur nous. La première est un air de piété et de gravité ; l’autre est un air de libertinage et de fierté. Car selon notre disposition à la piété ou au libertinage, les personnes qui parlent d’un air grave et pieux, ou d’un air fier et libertin, agissent fort diversement sur nous.

Il est vrai que les uns sont bien plus dangereux que les autres ; mais il ne faut jamais se laisser persuader par les manières ni des uns ni des autres, mais seulement par la force de leurs raisons. On peut dire gravement et modestement des sottises, et d’une manière dévote des impiétés et des blasphèmes. Il faut donc examiner si les esprits sont de Dieu selon le conseil de saint Jean, et ne pas se fier à toutes sortes d’esprits. Les démons se transforment quelquefois en anges de lumière ; et l’on trouve des personnes à qui l’air de piété est comme naturel, et par conséquent dont la réputation est