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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/25

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chose que l’âme modifiée d’une telle ou telle façon ; de sorte qu’elles sont proprement les modifications de l’âme. Qu’il me soit donc permis de les nommer ainsi pour m’expliquer.

La première et la principale des convenances qui se trouvent entre la faculté qu’a la matière de recevoir différentes figures et différentes configurations, et celle qu’a l’âme de recevoir différentes idées et différentes modifications, c’est que de même que la faculté de recevoir différentes figures et différentes configurations dans les corps, est entièrement passive et ne renferme aucune action, ainsi la faculté de recevoir différentes idées et différentes modifications dans l’esprit, est entièrement passive et ne renferme aucune action ; et j’appelle cette faculté ou cette capacité qu’a l’âme de recevoir toutes ces choses, entendement.

D’où il faut conclure que c’est l’entendement qui aperçoit ou qui connaît, puisqu’il n’y a que lui qui reçoive les idées des objets ; car c’est une même chose à l’âme d’apercevoir un objet que de recevoir l’idée qui le représente. C’est aussi l’entendement qui aperçoit les modifications de l’âme ou qui les sent, puisque j’entends par ce mot entendement, cette faculté passive de l’âme par laquelle elle reçoit toutes les différentes modifications dont elle est capable. Car c’est la même chose à l’âme de recevoir la manière d’être qu’on appelle la douleur, que d’apercevoir ou de sentir la douleur ; puisqu’elle ne peut recevoir la douleur d’autre manière qu’en l’apercevant. D’où l’on peut conclure que c’est l’entendement qui imagine les objets absents et qui sent ceux qui sont présents ; et que les sens et l’imagination ne sont que l’entendement apercevant les objets par les organes du corps, ainsi que nous expliquerons dans la suite.

Or, parce que quand on sent de la douleur ou autre chose on l’aperçoit d’ordinaire par l’entremise des organes des sens, les hommes disent ordinairement que ce sont les sens qui l’aperçoivent sans savoir distinctement ce qu’ils entendent par le terme de sens. Ils pensent qu’il y a quelque faculté distinguée de l’âme qui la rend, elle ou le corps, capable de sentir ; car ils croient que les organes des sens ont véritablement part à nos perceptions. Ils s’imaginent que le corps aide tellement l’esprit à sentir que si l’esprit était séparé du corps il ne pourrait jamais rien sentir. Mais ils ne pensent toutes ces choses que par préoccupation et parce que dans l’état où nous sommes nous ne sentons jamais rien sans l’usage des organes des sens, comme nous expliquerons ailleurs plus au long.

C’est pour nous accommoder à la manière ordinaire de parler, que nous dirons dans la suite que les sens sentent ; mais par le mot de sens nous n’entendons rien autre chose que cette faculté passive