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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/26

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de l’âme dont nous venons de parler, c’est-à-dire l’entendement apercevant quelque chose à l’occasion de ce qui se passe dans les organes de son corps, selon l’institution de la nature, comme on expliquera ailleurs.

L’autre convenance entre la faculté passive de l’âme et celle de la matière, c’est que, comme la matière n’est point véritablement changée par le changement qui arrive à sa figure, je veux dire par exemple que, comme la cire ne reçoit point de changement considérable pour être ronde ou carrée, ainsi l’esprit ne reçoit point de changement considérable par la diversité des idées qu’il a ; je veux dire que l’esprit ne reçoit point de changement considérable, quoiqu’il reçoive l’idée d’un carré ou d’un rond, en apercevant un carré ou un rond.

De plus, comme l’on peut dire que la matière reçoit des changements considérables lorsqu’elle perd la configuration propre aux parties de la cire pour recevoir celle qui est propre au feu et à la fumée, quand la cire se change en feu et en fumée, ainsi l’on peut dire que l’âme reçoit des changements fort considérables lorsqu’elle change ses modifications et qu’elle souffre de la douleur après avoir senti du plaisir. D’où il faut conclure que les perceptions pures sont à l’âme à peu près ce que les figures sont à la matière, et que les configurations sont à la matière à peu près ce que les sensations sont à l’âme. Mais il ne faut pas s’imaginer que la comparaison soit exacte ; je ne la fais que pour rendre sensible la notion de ce mot entendement, j’expliquerai dans le troisième livre la nature des idées.

II. L’autre faculté de la matière, c’est qu’elle est capable de recevoir plusieurs mouvements, et l’autre faculté de l’âme, c’est qu’elle est capable de recevoir plusieurs inclinations. Comparons ensemble ces facultés.

De même que l’auteur de la nature est la cause universelle de tous les mouvements qui se trouvent dans la matière, c’est aussi lui qui est la cause générale de toutes les inclinations naturelles qui se trouvent dans les esprits ; et de même que tous les mouvements se font en ligne droite, s’ils ne trouvent quelques causes étrangères et particulières qui les déterminent et qui les changent en des lignes courbes par leurs oppositions ; ainsi toutes les inclinations que nous avons de Dieu sont droites, et elles ne pourraient avoir d’autre fin que la possession du bien et de la vérité s’il n’y avait une cause étrangère qui déterminât l’impression de la nature vers de mavaises fins. Or, c’est cette cause étrangère qui est la cause de tous nos maux et qui corrompt toutes nos inclinations.