Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/285

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propres modifications, elle devrait connaître plus clairement son essence ou sa nature que celle des corps, et toutes les sensations ou modifications dont elle est capable que les figures ou modifications dont les corps sont capables. Cependant elle ne connait point qu’elle soit capable d’une telle sensation par la vue qu’elle a d’elle même, mais seulement par expérience ; au lieu qu’elle connaît que l’étendue est capable d’un nombre infini de figures par l’idée qu’elle a de l’étendue, Il y a même de certaines sensations, comme les couleurs et les sons, que la plupart des hommes ne peuvent reconnaître si elles sont ou ne sont pas des modifications de l’âme, et il n’y a point de figures que tous les hommes, par l’idée qu’ils ont de l’étendue, ne reconnaissent être des modifications des corps.

Ce que je viens de dire fait aussi voir la raison pour laquelle on ne peut pas donner de définition qui fasse connaître les modifications de l’âme ; car puisqu’on ne connaît ni l’âme ni ses modifications par des idées, mais seulement par des sentiments, et que tels sentiments de plaisir, par exemple, de douleur, de chaleur. etc., ne sont point attachés aux mots, il est clair que si quelqu’un n’avait jamais vu de couleur ni senti de chaleur, on ne pourrait lui faire connaître ces sensations par toutes les définitions qu’on lui en donnerait. Or les hommes n’ayant leurs sentiments qu’à cause du corps, et leur corps n’étant pas disposé en tous de la même manière, il arrive souvent que les mots sont équivoques, que ceux dont on se sert pour exprimer les modifications de son âme signifient tout le contraire de ce qu’on prétend, et que souvent on fait penser à l’amertume, par exemple, lorsqu’on croit faire penser in la douceur.

Encore que nous n’ayons pas une entière connaissance de notre âme, celle que nous en avons par conscience ou sentiment intérieur suffit pour en démontrer l’immortalité, la spiritualité, la liberté et quelques autres attributs qu’il est nécessaire que nous sachions, et c’est pour cela que Dieu ne nous la fait point connaître par son idée comme il nous fait connaître les corps. La connaissance que nous avons de notre âme par conscience est imparfaite. il est vrai, mais elle n’est point fausse ; la connaissance, au contraire, que nous avons des corps par sentiment ou par conscience, si on peut appeler conscience le sentiment de ce qui se passe dans notre corps. n’est pas seulement imparfaite, mais elle est fausse. Il nous fallait donc une idée des corps pour corriger les sentiments que nous en avons ; mais nous n’avons point besoin de l’idée de notre âme. puisque la conscience que nous en avons ne nous engage point dans l’erreur, et que pour ne nous point tromper dans sa connaissance il suffit de ne la point confondre avec le corps, ce que nous