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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/290

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quoi consiste l’essence de la matière, il faut regarder toutes les propriétés qui lui conviennent ou qui sont renfermées dans l’idée qu’on en a, comme la dureté, la mollesse, la fluidité, le mouvement, le repos, la figure, la divisibilité, l’impénétrabilité et l’étendue, et considérer d’abord lequel de tous ces attributs en est inséparable. Ainsi, la fluidité, la dureté, la mollesse, le mouvement et le repos se pouvant séparer de la matière, puisqu’il y a plusieurs corps qui sont sans dureté, ou sans fluidité, ou sans mollesse, qui ne sont point en mouvement, ou enfin qui ne sont point en repos, il s’ensuit clairement que tous ces attributs ne lui sont point essentiels.

Mais il en reste encore quatre que nous concevons inséparables de la matière, savoir : la figure, la divisibilité, l’impénétrabilité et l’étendue. De sorte que pour voir quel est l’attribut qu’on doit prendre pour l’essence, il ne faut plus songer à les séparer, mais seulement examiner lequel est le premier, et qui n’en suppose point d’autre. On reconnaît facilement que la figure, la divisibilité et l’impénétrabilité supposent l’étendue, et que l’étendue ne suppose rien ; mais que dès qu’elle est donnée, la divisibilité, l’impénétrabilité et la figure sont données. Ainsi, on doit conclure que l’étendue est l’essence de la matière, supposé qu’elle n’ait que les attributs dont nous venons de parler ou d’autres semblables ; et je ne crois pas qu’il y ait personne au monde qui en puisse douter après y avoir sérieusement pensé.

Mais la difficulté est de savoir si la matière n’a point encore quelques autres attributs différents de l’étendue et de ceux qui en dépendent ; de sorte que l’étendue même ne lui soit point essentielle, et qu’elle suppose quelque chose qui en soit le sujet et le principe.

Plusieurs personnes, après avoir considéré très-attentivement l’idée qu’ils avaient de la matière, par tous les attributs qui en sont connus, après avoir aussi médité les effets de la nature autant que la force et la capacité de l’esprit le peuvent permettre, se sont fortement persuadés que l'étendue ne suppose aucune chose dans la matière, soit parce qu’ils n’ont pas eu d’idée distincte et particulière de cette prétendue chose qui précède l’étendue, soit encore parce qu’ils n’ont vu aucun effet qui la prouve.

Car de même que pour se persuader qu’une montre n’a point quelque entité différente de la matière dont elle est composée, il suffit de savoir comment la différente disposition des roues peut

    montré ; si on ne la reçoit pas, ce n’est plus qu’une question de nom. de savoir en quoi consiste l'essence de la matière, ou plutôt cela ne peut entrer en question.