Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/289

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tités qui ne furent jamais, mais encore parce qu’étant préoccupé, on se rend incapable de concevoir comment il se peut faire que de la matière toute seule comme celle du feu, étant mue contre des corps différemment disposés, y produise tous les différents effets que nous voyons que le feu produit.

Il est manifeste à tous ceux qui ont un peu lu que presque tous les livres de science, et principalement ceux qui traitent de la physique, de la médecine, de la chimie et de toutes les choses particulières de la nature, sont tout pleins de raisonnements fondés sur les qualités élémentaires et sur les qualités secondes, comme les attractrices, les rétentrices, les concoctrices, les expultrices et autres semblables, sur d’autres qu’ils appellent occultes, sur les vertus spécifiques et sur plusieurs autres entités que les hommes composent de l’idée générale de l’être et de celle de la cause de l’effet qu’ils voient. Ce qui semble ne pouvoir arriver qu’à cause de la facilité qu’ils ont à considérer l’idée de l’être en général, qui est toujours présente à leur esprit par la présence intime de celui qui renferme tous les êtres.

Si les philosophes ordinaires se contentaient de donner leur physique simplement comme une logique qui fournirait des termes propres pour parler des choses de la nature, et s’ils laissaient en repos ceux qui attachent à ces termes des idées distinctes et particulières afin de se faire entendre, on ne trouverait rien à reprendre dans leur conduite. Mais ils prétendent eux-mêmes expliquer la nature par leurs idées générales et abstraites, comme si la nature était abstraite ; et ils veulent absolument que la physique de leur maître Aristote soit une véritable physique qui explique le fond des choses, et non pas simplement une logique, quoiqu’elle ne contienne rien de supportable que quelques définitions si vagues et quelques termes si généraux, qu’ils peuvent servir dans toutes sortes de philosophie. Ils sont enfin si fort entêtés de toutes ces entités imaginaires et de ces idées vagues et indéterminées qui leur naissent naturellement dans l’esprit, qu’ils sont incapables de s’arrêter assez long-temps à considérer les idées réelles des choses pour en reconnaître la solidité et l’évidence. Et c’est ce qui est la cause de l’extrême ignorance où ils sont des vrais principes de physique. Il en faut donner quelque preuve.

II. Les philosophes tombent assez d’accord qu’on doit regarder comme l’essence d’une chose ce que l’on reconnaît de premier dans cette chose, ce qui en est inséparable et d’où dépendent toutes les propriétés qui lui conviennent[1]. De sorte que pour découvrir en

  1. 1. Si on reçoit cette définition du mot essence, tout le reste est absolument dé-