Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/304

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espèce d’harmoníe dans le mouvement et les intervalles des planètes, s’il consídère attentivement l’ordre qui se trouve dans les cieux. Ce n’est pas que cet auteur soit de ce sentiment ; car les observations qu’on a faites lui ont assez fait connaître l’extravagance de cette harmonie imaginaire, qui a été cependant l’admiration de plusieurs auteurs anciens et nouveaux dont le père Riccioli rapporte et réfute les sentiments. On attribue même à Pythagore et à ses sectateurs d’avoir cru que les cieux faisaient par leurs mouvements réglés un merveilleux concert que les hommes n’entendent point parce qu’ils y sont accoutumés, de même, disait-il, que ceux qui habitent auprès des chutes des eaux du Nil n’en entendent pas le bruit. Mais je n’apporte cette opinion particulière de la proportion harmonique des distances et des mouvements des planètes que pour faire voir que l’esprit se plaît dans les proportions, et que souvent il les imagine où elles ne sont pas.

L’esprit suppose aussi l’uniformité dans la durée des choses, et il s’imagine qu’elles ne sont point sujettes au changement et à l’instabilité, quand il n’est point comme forcé par les rapports des sens d’en juger autrement.

Toutes les choses matérielles étant étendues sont capables de division et par conséquent de corruption. Quand on fait un peu de réflexion sur la nature des corps, on reconnaît visiblement qu’ils sont corruptibles. Cependant il y a eu un très grand nombre de philosophes qui se sont persuadés que les cieux, quoique matériels, étaient incorruptibles.

Les cieux sont trop éloignés de nous pour y pouvoir découvrir les changements qui y arrivent, et il est rare qu’il s’y en fasse d’assez grands pour être vus d’ici-bas. Cela a suffi à une infinité de personnes pour croire qu’ils étaient en effet incorruptibles. Ce qui les a encore confirmés dans leur opinion, c’est qu’ils attribuent à la contrariété des qualités la corruption qui arrive aux corps sublunaires. Car, comme ils n’ont jamais été dans les cieux pour voir ce qui s’y passe, ils n’ont point eu d’expérience que cette contrariété de qualités s’y rencontrât ; ce qui les a portés à croire qu’effectivement elle ne s’y rencontre point. Ainsi ils ont conclu que les cieux étaient exempts de corruption, par cette raison que ce qui corrompt, selon leur sentiment, tous les corps d’ici-bas ne se trouve point là-haut.

Il est visible que ce raisonnement n’a aucune solidité, car on ne voit point pourquoi il ne se peut pas trouver quelque autre cause de corruption que cette contrariété de qualités qu’ils imaginent, ni sur quel fondement ils peuvent assurer qu’il n’y a ni chaleur, ni froi-