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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/305

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deur, ni sécheresse, ni humidité dans les cieux, que le soleil n’est pas chaud et que Saturne n’est pas froid.

Il y a quelque apparence de raison de dire que des pierres fort dures, du verre et d’autres corps de cette nature ne se corrompent pas, puisqu’on voit qu’ils subsistent long-temps en même état et que l’on en est assez proche pour voir les changements qui leur arriveraient. Mais étant aussi éloignés des cieux que nous en sommes, il est tout à fait contre la raison de conclure qu’ils ne se corrompent pas, à cause que l’on n’y sent pas de qualités contraires et qu’on ne voit pas qu’ils se corrompent. Cependant on ne dit pas seulement qu’ils ne se corrompent pas, on dit absolument qu’ils sont inaltérables et incorruptibles, et peu s’en faut que quelques péripatéticiens ne disent que les corps célestes sont autant de divinités, comme Aristote leur maître l’a cru.

La beauté de l’univers ne consiste pas dans l’incorruptibilité de ses parties, mais dans la variété qui s’y trouve ; et ce grand ouvrage du monde ne serait pas si admirable sans cette vicissitude de choses que l’on y remarque. Une matière infiniment étendue, sans mouvement, et par conséquent sans forme et sans corruption, ferait bien connaître la puissance infinie de son auteur, mais elle ne donnerait aucune idée de sa sagesse. C’est pour cela que toutes les choses corporelles sont corruptibles, et qu’il n’y a point de corps auquel il n’arrive quelque changement qui l’altère et le corrompe avec le temps. Les pierres et le verre même servent de nourriture à quelques insectes[1]. Ces corps, quoique fort durs et fort secs, ne laissent pas de se corrompre avec le temps. L’air et le soleil, auxquels ils sont exposés, changent quelques-unes de leurs parties, et il se trouve des vers qui s’en nourrissent, comme l’expérience le fait voir.

Il n’y a point d’autre différence entre ces corps fort durs et fort secs et les autres, si ce n’est qu’ils sont composés de parties fort grosses et fort solides, et par conséquent moins capables d’être agitées, et séparées les unes des autres par le mouvement de celles qui viennent heurter contre elles, ce qui fait qu’on les regarde comme incorruptibles. Néanmoins. ils ne sont point tels de leur nature, comme le temps, l’expérience et la raison le font assez connaître.

Mais pour les cieux, ils sont composés de la matière la plus fluide et la plus subtile, et principalement le soleil ; et tant s’en faut qu’il soit sans chaleur et incorruptible, comme disent les sectateurs d’Aristote, qu’au contraire c’est de tous les corps et le plus

  1. Journal des Savants du 9 août 1666.