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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/327

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Il est vrai qu’il y a quelque fatigue et qu’il faut se contraindre pour se rendre attentif et pour pénétrer le fond des choses que l’on veut savoir, mais on n’a rien sans peine. Il est honteux que des personnes d’esprit et des philosophes, qui sont obligés par toutes sortes de raisons à la recherche et à la défense de la vérité, parlent sans savoir ce qu’ils disent, et se contentent de termes qui ne réveillent aucune idée distincte dans les esprits attentifs.


CHAPITRE III.
I. La curiosité est naturelle et nécessaire. — II. Trois règles pour la modérer. — III. Explication de la première de ces règles.


I. Tant que les hommes auront de l’inclination pour un bien qui surpasse leurs forces et qu’ils ne le posséderont pas, ils auront toujours une secrète inclination pour tout ce qui porte le caractère du nouveau et de l’extraordinaire ; ils courront sans cesse après les choses qu’ils n’auront point encore considérées, dans l’espérance d’y trouver ce qu’ils cherchent, et, leurs esprits ne pouvant se satisfaire entièrement que par la vue de celui pour qui ils sont faits, ils seront toujours dans l’inquiétude et dans l'agitation jusqu’à ce qu’il leur paraisse dans sa gloire.

Cette disposition des esprits est sans doute très-conforme à leur état, car il vaut infiniment mieux chercher avec inquiétude la vérité et le bonheur qu’on ne possède pas, que de demeurer dans un faux repos en se contentant du mensonge et des faux biens dont on se repaît ordinairement. Les hommes ne doivent pas être insensibles à la vérité et à leur bonheur ; le nouveau et l’extraordinaire les doit donc réveiller, et il y a une curiosité qui leur doit être permise ou plutôt qui leur doit être recommandée. Ainsi les choses communes et ordinaires ne renfermant pas le vrai bien et les opinions anciennœ des philosophes étant très-incertaines, il est juste que nous soyons curieux pour les nouvelles découvertes, et toujours inquiets dans la jouissance des biens ordinaires.

Si un géomètre nous venait donner de nouvelles propositions contraires à celles d'Euclide, s’il prétendait prouver que cette science est pleine d’erreurs, comme Hobbes l’a voulu faire dans le livre qu’il a composé contre le faste des géomètres, j’avoue qu’on aurait tort de se plaire dans cette sorte de nouveauté, parce que quand on a trouvé la vérité il y faut demeurer ferme ; puisque la curiosité ne nous est donnée que pour nous porter à la découvrir. Aussi n’est-ce pas un défaut ordinaire aux géomètres d’être curieux des opinions nouvelles de géométrie. Ils se dégoûteraient bientôt d'un livre qui ne contiendrait que des propositions contraires à celles