Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/328

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d’Euclide, parce que étant très-certains de la vérité de ces propositions par des démonstrations incontestables, toute notre curiosité cesse à leur égard ; marque infaillible que les hommes n’ont de l’inclination pour la nouveauté que parce qu’ils ne voient point avec évidence la vérité des choses qu’ils désirent naturellement de savoir et qu’ils ne possèdent point des biens infinis qu’ils souhaitent naturellement de posséder.

II. Il est donc juste que les hommes soient excités par la nouveauté et qu’ils l’aiment ; mais il y a pourtant des exceptions à faire, et ils doivent observer certaines règles qu’il est facile de tirer de ce que nous venons de dire, que l’inclination pour la nouveauté ne nous est donnée que pour la recherche de la vérité et de notre véritable bien.

Il y en a trois, dont la première est que les hommes ne doivent point aimer la nouveauté dans les choses de la foi qui ne sont point soumises à la raison ;

La seconde, que la nouveauté n’est pas une raison qui nous doive porter à croire que les choses sont bonnes ou vraies, c’est-à-dire que nous ne devons point juger que les opinions sont vraies à cause qu’elles sont nouvelles, ni que des biens sont capables de nous contenter à cause qu’ils sont nouveaux et extraordinaires et que nous ne les avons point encore possédés ;

La troisième, que lorsque nous sommes assurés d’ailleurs que des vérités sont si cachées qu’il est moralement impossible de les découvrir, et que les biens sont si petits et si minces qu’ils ne peuvent pas nous satisfaire, nous ne devons point nous laisser exciter par la nouveauté qui s’y rencontre, ni nous laisser séduire sur de fausses espérances. Mais il faut expliquer ces règles plus au long et faire voir que faute de les observer nous tombons dans un très-grand nombre d’erreurs.

III. On trouve assez souvent des esprits de deux humeurs bien différentes : les uns veulent toujours croire aveuglément, les autres veulent toujours voir évidemment. Les premiers, n’ayant presque jamais fait usage de leur esprit, croient sans discernement tout ce qu’on leur dit ; les autres, voulant toujours faire usage de leur esprit sur des matières même qui le surpassent infiniment, méprisent indifféremment toutes sortes d’autorités. Les premiers sont ordinairement des stupides et des esprits faibles, comme les enfants et les femmes ; les autres sont des esprits superbes et libertins, comme les hérétiques et les philosophes.

Il est extrêmement rare de trouver des personnes qui soient justement au milieu de ces deux excès et qui ne cherchent jamais