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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/339

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avons pour le plaisir et pour tout ce qui rend notre être le meilleur qui puisse être pour nous, ou qui nous contente le plus.


CHAPITRE VI.
I. De l’inclination que nous avons pour tout ce qui nous élève au-dessus des autres. — II. Des faux jugements de quelques personnes de piété. — III. Des faux jugements des superstitieux et des hypocrites. — IV. De Voët, ennemi de M. Descartes.


I. Toutes les choses qui nous donnent une certaine élévation au-dessus des autres ; en nous rendant plus parfaits, comme la science et la vertu, ou bien qui nous donnent quelque autorité sur eux, en nous rendant plus puissants, comme les dignités et les richesses, semblent nous rendre en quelque sorte indépendants. Tous ceux qui sont au-dessous de nous nous révèrent et nous craignent ; ils sont toujours prêts à faire ce qu’il nous plaît pour notre conservation, et ils n’osent nous nuire ni nous résister dans nos désirs. Ainsi les hommes tâchent toujours de posséder ces avantages qui les élèvent au-dessus des autres. Car ils ne font pas réflexion que leur être et leur bien-être dépendent, selon la vérité, de Dieu seul, et non pas des hommes ; et que la véritable grandeur qui les rendra éternellement heureux ne consiste pas dans ce rang qu’ils tiennent dans l’imagination des autres hommes, aussi faibles et aussi misérables qu’eux-mêmes ; mais dans le rang honorable qu’ils tiennent dans la raison divine, dans cette raison toute-puissante qui rendra éternellement à chacun selon ses œuvres.

Mais les hommes ne désirent pas seulement de posséder effectivement la science et la vertu, les dignités et les richesses ; ils font encore tous leurs efforts afin qu’on croie au moins qu’ils les possèdent véritablement. Et si l’on peut dire qu’ils se mettent moins en peine de paraître riches que de l’être effectivement, on peut dire aussi qu’ils se mettent souvent moins en peine d’être vertueux que de le paraître ; car, comme dit agréablement l’auteur des Réflexions morales : La vertu n’iraít pas loin, si la vanité ne lui tenait compagnie.

La réputation d’être riche, savant, vertueux, produit dans l’imagination de ceux qui nous environnent, ou qui nous touchent de plus près, des dispositions très-commodes pour nous. Elle les abat à nos pieds ; elle les agite en notre faveur ; elle leur inspire tous les mouvements qui tendent à la conservation de notre être, et tt l’augmentation de notre grandeur. Ainsi les hommes conservent