Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/338

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point en nous, et elles ne consistent d’ordinaire que dans le rapport que nous avons avec les choses qui nous environnent. Mais les plaisirs sont dans l’âme même, et ils en sont des manières réelles qui la modifient, et qui par leur propre nature sont capables de la contenter. Ainsi nous regardons l’excellence, la grandeur et l’indépendance comme des choses propres pour la conservation de notre être, et même quelquefois comme fort utiles selon l’ordre de la nature pour la conservation du bien-être ; mais le plaisir est toujours la manière d’être de l’esprit, qui par elle-même le rend heureux, et s’il est solide le rend parfaitement content, de sorte que le plaisir est le bien-être, et l’amour du plaisir l’amour du bien-être.

Or cet amour du bien-être est plus fort en nous que l’amour de l’être ; et l’amour-propre nous fait désirer quelquefois le non-être, parce que nous n’avons pas le bien-être. Cela arrive à tous les damnés, auxquels il serait meilleur, selon la parole de Jésus-Christ, de n’être point que d’être aussi mal qu’ils sont ; parce que ces malheureux étant ennemis déclarés de celui qui renferme en lui-même toute la bonté, et qui est la cause seule des plaisirs et des douleurs que nous sommes capables de sentir, il n’est pas possible qu’ils jouissent de quelque satisfaction. ils sont et ils seront éternellement misérables, parce que leur volonté sera toujours dans la même disposition et dans le même dérèglement. L’amour de soi-même renferme donc deux amours : l’amour de la grandeur, de la puissance, de l’indépendance et généralement de toutes les choses qui nous paraissent propres pour la conservation de notre être ; et l’amour du plaisir et de toutes les choses qui nous sont nécessaires pour être bien, c’està-dire pour être heureux et contents.

Ces deux amours se peuvent diviser en plusieurs manières ; soit parce que nous sommes composés de deux parties différentes, d’âme et de corps, selon lesquelles on les peut diviser ; soit parce qu’on les peut distinguer ou les spécifier par les différents objets qui nous sont utiles pour notre conservation. On ne s’arrêtera pas toutefois à cela, parce que notre dessein n’étant pas de faire une morale, il n’est pas nécessaire de faire une recherche et une division exacte le toutes les choses que nous regardons comme nos biens. Il a seulement été nécessaire de faire cette division pour rapporter avec quelque ordre les causes de nos erreurs.

Nous parlerons donc premièrement des erreurs qui ont pour cause l’inclination que nous avons pour la grandeur et pour tout ce qui met notre être hors de la dépendance des autres ; et ensuite nous traiterons de celles qui viennent de l’inclination que nous