Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/348

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les vérités salutaires de l’Évangile. Ils veulent posséder dans eux-mêmes la science qu’ils ont admirée sottement dans les autres, et que les sots ne manqueront pas d’admirer en eux.

De même dans les connaissances de la nature ils ne recherchent guère les plus utiles, mais les moins communes. L’anatomie est trop basse pour eux, mais l’astronomie est plus relevée. Les expériences ordinaires sont peu dignes de leur application ; mais ces expériences rares et surprenantes, qui ne nous peuvent jamais éclairer l’esprit, sont celles qu’ils observent avec plus de soin.

Les histoires les plus rares et les plus anciennes sont celles qu’ils font gloire de savoir. Ils ne savent pas la généalogie des princes qui règnent présentement, et ils recherchent avec soin celle des hommes qui sont morts il y a quatre mille ans. Ils négligent d’apprendre les histoires de leur temps les plus communes, et ils tâchent de savoir exactement les fables et les fictions des poëtes. Ils ne connaissent pas même leurs propres parents ; mais si vous le souhaitez, ils vous apporteront plusieurs autorités pour vous prouver qu’un citoyen romain était allié d’un empereur, et d’autres choses semblables.

A peine savent-ils le nom des vêtements ordinaires dont on se sert de leur temps, et ils s’amusent à la recherche de ceux dont se servaient les Grecs et les Romains. Les animaux de leur pays leur sont peu connus, et ils ne craindront pas d’employer plusieurs années à composer de grands volumes sur les animaux de la Bible, pour paraitre avoir mieux deviné que les autres ce que signifient des termes inconnus. Un tel livre fait les délices de son auteur et des savants qui le lisent, parce qu’étant tout cousu de passages grecs, hébreux, arabes, etc., de citations de rabbins et d’autres auteurs obscurs et extraordinaires, il satisfait la vanité de son auteur et la sotte curiosité de ceux qui le lisent, qui se croiront aussi plus savants que les autres quand ils pourront assurer avec fierté qu’il y a six mots différents dans l’Écriture pour signifier un lion ou quelque chose de semblable.

La carte de leur pays ou même de leur ville leur est souvent inconnue dans le temps qu’ils étudient les cartes de la Grèce ancienne, de l’Italie, des Gaules du temps de Jules César, ou les rues et les places publiques de l’ancienne Rome. Labor stultorum, dit le Sage, affliget eos qui nesciunt in urbem pergere : ils ne savent pas le chemin de leur ville, et ils se fatiguent sottement dans des recherches inutiles. ils ne savent pas les lois ni les coutumes des lieux où ils vivent ; mais ils étudient avec soin le droit ancien, les lois des Douze Tables, les coutumes des Lacédémoniens ou des Chinois,