Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/349

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ou les ordonnances du grand Mogol. Enfin ils veulent savoir toutes les choses rares, extraordinaires, éloignées, et que les autres ne savent pas, parce qu’ils ont attaché par un renversement d’esprit l’idée de savant à ces choses, et qu’il suffit pour être estimé savant de savoir ce que les autres ne savent pas, quand même on ignorerait les vérités les plus nécessaires et les plus belles. Il est vrai que la connaissance de toutes ces choses et d’autres semblables est appelée science, érudition, doctrine, l’usage l’a voulu ; mais il y a une science qui n’est que folie et que sottise, selon l’Écriture : Doctrina stultorum fatuítas. Je n’ai point encore remarqué que le Saint-Esprit, qui donne tant d’éloges à la science dans les livres saints, dise quelque chose à l’avantage de cette fausse science dont je viens de parler.


CHAPITRE VIII.
I. Du désir de paraître savant. — II. Des conversations des faux savants. — III. De leurs ouvrages.


I. Si le désir déréglé de devenir savant rend souvent les hommes plus ignorants, le désir de paraître savant ne les rend pas seulement plus iμorants, mais il semble qu’il leur renverse l’esprit ; car il y a une infinité de gens qui perdent le sens commun, parce qu’ils le veulent passer ; et qui ne disent que des sottises. parce qu’ils ne veulent dire que des paradoxes. Ils s’éloignent si fort de toutes les pensées communes dans le dessein qu’ils ont d’acquérir la qualité d’esprit rare et extraordinaire, qu’en effet ils y réussissent, et qu’on ne les regarde plus ou qu’avec admiration, ou qu’avec beaucoup de mépris.

On les regarde quelquefois avec admiration, lorsque étant élevés à quelque dignité qui les couvre, on s’imagine qu’ils sont autant au-dessus des autres par leur génie et par leur érudition qu’ils le sont par leur rang ou par leur naissance ; mais on les regarde le plus souvent avec mépris, et quelquefois même comme des fous, lorsqu’on les regarde de plus près et que leur grandeur ne les cache point aux yeux des autres.

Les faux savants font manifestement paraître ce qu’ils sont dans les livres qu’ils composent et dans leurs conversations ordinaires. Il est peut-être à propos d’en dire quelque chose.

II. Comme c’est la vanité et le désir de paraître plus que les autres qui les engage dans l’étude, dès qu’ils se sentent en conversation, la passion et le désir de l’élévation se réveille en eux et les emporte. Ils montent tout d’un coup si haut, que tout le monde les