Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/402

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qui suivent les mouvements de leurs passions et qui s’y laissent assujettir, car la cupidité l’augmente et la fortifie.

Enfin les différents emplois, les différentes conditions, aussi bien que les différences dispositions d’esprit, mettent une différence considérable dans l’union sensible qu’ont les hommes aux biens de la terre. Les grands tiennent à bien plus de choses que les autres, leur esclavage a plus d’étendue. Un général d’armée tient à tous ses soldats, parce que tous ses soldats le considèrent. C’est souvent cet esclavage qui fait sa générosité, et le désir d’être estimé de tous ceux à qui il est en vue l’oblige souvent à sacrifier d’autres désirs plus sensibles ou plus raisonnables. Il en est de même des supérieurs et de ceux qui sont en quelque considération dans le monde. C’est souvent la vanité qui anime leur vertu, parce que l’amour de la gloire est d’ordinaire plus fort que l’amour de la vérité et de la justice. Je parle ici de l’amour de la gloire non comme d’une simple inclination, mais comme d’une passion, parce qu’en effet cet amour peut être sensible et qu’il est souvent accompagné d’émotions d’esprit assez vives et assez violentes.

Les différents âges et les différents sexes sont encore des causes principales de la différence des passions des hommes. Les enfants n’aiment pas les mêmes choses que les hommes faits et que les vieillards, ou ils ne les aiment pas avec tant de force et de constance. Les femmes ne tiennent souvent qu’à leur famille et à leur voisinage ; mais les hommes tiennent à toute leur patrie, c’est à eux à la défendre ; ils aiment les grandes charges, les honneurs, le commandement.

Il y a une si grande variété dans les emplois et dans les engagements où les hommes se trouvent, qu’il est impossible de l’expliquer. La disposition de l’esprit d’un homme marié n’est pas la même que celle d’un homme qui ne l’est pas. La pensée de sa famille l’occupe souvent presque tout entier. Les religieux n’ont pas l’esprit ni le cœur tourné comme les hommes du monde, ni même comme les ecclésiastiques ; ils sont unis à moins de choses, mais ils y sont naturellement plus fortement attachés. On peut ainsi parler en général des différents états où les hommes se trouvent, mais on ne peut expliquer en détail les petits engagements qui sont presque tous différents en chaque personne en particulier : car il arrive assez souvent que les hommes ont des engagements particuliers entièrement opposés à ceux qu’ils devraient avoir par rapport à leur condition. Mais quoique l’on puisse exprimer en général les différents caractères d’esprit et les différentes inclinations des hommes et des femmes, des vieillards et des jeunes gens, des riches et des