Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/422

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sir sensible est à l’égard de notre bien ce que nos sensations sont à l’égard de la vérité, et que, de même que nos sens nous trompent touchant la vérité, nos passions nous trompent touchant notre bien ; que l’on doit se rendre à la délectation de la grâce, parce qu’elle nous porte avec évidence à l’amour du vrai bien, qu’elle n’est point suivie des reproches secrets de la raison, comme l’instinct aveugle et le plaisir confus des passions, et qu’elle est toujours accompagnée d’une secrète joie conforme à l’état dans lequel nous sommes ; qu’enfin, n’y ayant que Dieu qui puisse agir dans l’esprit de l’homme, l’homme ne peut trouver de félicité hors de Dieu, si on ne suppose ou que Dieu récompense la désobéissance, ou qu’il commande d’aimer davantage ce qui mérite le moins d’être aimé.


CHAPITRE V.
Que la perfection de l’esprit consiste dans son union avec Dieu par la connaissance de la vérité et par l’amour de la vertu ; et au contraire que son imperfection ne vient que de en dépendance du corps à cause du désordre de ses sens et de ses passions.


La plus petite réflexion est suffisante pour reconnaître que le bien de l’esprit est nécessairement quelque chose de spirituel. Les corps sont beaucoup au-dessous de l’esprit ; ils ne peuvent agir sur lui par leurs propres forces, ils ne peuvent même s’unir immédiatement à lui ; enfin ils ne sont point intelligibles par eux-mêms : ils ne peuvent donc être son bien. Les choses spirituelles, au contraire, sont intelligibles par leur nature ; elles peuvent s’unir à l’esprit : elles peuvent donc être son bien, supposé qu’elles soient au-dessus de lui ; car, afin qu’une chose puisse être le bien de l’esprit, il ne suffit pas qu’elle soit spirituelle comme lui, il est encore nécessaire qu’elle soit au-dessus de lui, qu’elle puisse agir sur lui, l’éclairer et le récompenser ; autrement elle ne peut le rendre ni plus parfait ni plus heureux, et par conséquent elle ne peut être son bien. De toutes les choses intelligibles ou spirituelles, il n’y a que Dieu qui soit en cette manière au-dessus de l’esprit ; il s’ensuit donc qu’il n’y a que Dieu qui soit ni qui puisse être notre vrai bien. Nous ne pouvons donc devenir plus parfaits ni plus heureux que par la possession de Dieu.

Tout le monde est convaincu que la connaissance de la vérité et l’amour de la vertu rendent l’esprit plus parfait, et que l’aveuglement de l’esprit et le dérèglement du cœur le rendent plus imparfait. La connaissance de la vérité et l’amour de la vertu ne peuvent donc être autre chose que l’union de l’esprit avec Dieu et qu’une