Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espèce de possession de Dieu ; et l’aveuglement de l’esprit et le dérèglement du cœur ne peuvent aussi être autre chose que la séparation de l’esprit d’avec Dieu, et que l’union de cet esprit à quelque chose qui soit au-dessous de lui, c’est-à-dire au corps, puisqu’il n’y a que cette union qui le puisse rendre imparfait et malheureux. Ainsi c’est connaître Dieu que de connaître la vérité ou que de connaître les choses selon la vérité ; et c’est aimer Dieu que d’aimer la vertu ou d’aimer les choses selon qu’elles sont aimables ou selon les règles de la vertu.

L’esprit est comme situé entre Dieu et les corps, entre le bien et le mal, entre ce qui l’éclaire et ce qui l’aveugle, ce qui le règle et ce qui le dérègle, ce qui le peut rendre parfait et heureux et ce qui le peut rendre imparfait et malheureux. Lorsqu’il découvre quelque vérité ou qu’il voit les choses selon ce qu’elles sont en elles-mêmes, il les voit dans les idées de Dieu, c’est-à-dire par la vue claire et distincte de ce qui est en Dieu qui les représente ; car, comme j’aí déjà dit, l’esprit de l’homme ne renferme pas dans lui-même les perfections ou les idées de tous les êtres qu’il est capable de voir : il n’est point l’être universel. Ainsi il ne voit point dans lui-même les choses qui sont distinguées de lui. Ce n’est point en se consultant qu’il s’instruit et qu’il s’éclaire, car il n’est pas à lui-même sa perfection et sa lumière ; il a besoin de cette lumière immense de la vérité éternelle pour l’éclairer. Ainsi, lorsque l’esprit connaît la vérité, il est uni à Dieu, il connaît et possède Dieu en quelque manière.

Mais non-seulement on peut dire que l’esprit qui connait la véríté connaît en quelque manière Dieu qui la renferme ; on peut même dire qu’il connaît en quelque manière les choses comme Dieu les connaît. En effet, cet esprit connaît leurs véritables rapports, et Dieu les connaît aussi ; cet esprit les connaît dans la vue des perfections de Dieu qui les représentent, et Dieu les connaît aussi en’cette manière ; car enfin Dieu ne sent pas, Dieu n’imagine pas, Dieu voit dans lui-même, dans le monde intelligible quïil renferme, le monde matériel et sensible qu’il a créé. Il en est de même d’un esprit qui connait la vérité ; il ne la sent pas, il ne l’imagine pas. Les sensations et les fantômes ne représentent à l’esprit que de faux rapports ; et quiconque découvre la vérité, il ne la peut voir que dans le monde intelligible auquel il est uni et dans lequel Dieu même la voit : car ce monde matériel et sensible n’est point. intelligible par lui-même. L’esprit voit donc dans la lumière de Dieu comme Dieu même toutes les choses qu’il voit clairement, quoiqu’il ne les voie que d’une manière fort imparfaite et en cela