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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/444

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esprit est cause que la partie principale du cerveau, dont la flexibilité fait la force et la vivacité de l’esprit, devient entièrement inflexible, et que les esprits animaux ne se répandent pas facilement dans le cerveau d’une manière propre pour penser à ce que l’on veut.

C’est ce qui rend la plupart des gens de guerre et de la noblesse incapables de s’appliquer à quoi que ce soit. Ils raisonnent de toutes choses à la cavalière, comme l’on dit ordinairement ; et si l’on prétend leur dire ce qu’ils ne veulent pas entendre, au lieu de penser à ce qu’il faut répondre leurs esprits animaux se conduisent insensiblement dans les muscles qui font lever le bras. Ils répondent presque sans réflexion par quelque coup ou par quelque geste menaçant, à cause que, les esprits étant agités par les paroles qu’ils entendent, ils se portent vers les endroits les plus ouverts par l’habitude de l’exercice. Le sentiment qu’ils ont de la force de leur corps les confirme dans ces manières insolentes, et la vue de l’air respectueux de ceux qui les écoutent leur imprime une sotte confiance. pour dire fièrement et brutalement des sottises. Ils croient même avoir dit de belles et bonnes choses parce que la crainte et la prudence des autres leur a été favorable.

Il n’est pas possible de s’être appliqué à quelque étude ou de faire actuellement profession de quelque science sans qu’on le sache ; on ne peut être auteur ou docteur sans s’en souvenir. Mais ce seul souvenir produit naturellement dans l’esprit de bien des gens un si grand nombre de défauts qu’il leur serait très-avantageux de n’avoir point la qualité dont ils se font honneur. Comme ils s’imaginent qu’elle fait leur plus bel endroit, ils la considèrent toujours avec plaisir ; ils la présentent aux autres avec toute l’adresse possible, et ils prétendent qu’elle leur donne le droit de juger de toutes choses sans les examiner. Si l’on est assez imprudent pour les contredire, ils tâchent d’abord d’insinuer avec adresse et avec un air de douceur et de charité ce qu’ils sont et le droit qu’ils ont de décider. Mais si l’on est ensuite assez hardi pour leur résister et qu’ils manquent de réponse, ils disent alors ouvertement et ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et ce qu’ils pensent de ceux qui leur résistent.

Tout sentiment intérieur de quelque avantage que l’on possède enfle naturellement le courage. Un cavalier qui se sent bien monté et bien armé, qui ne manque ni de sang ni d’esprits, est prêt de tout entreprendre ; la disposition où il se trouve le rend généreux et hardi. Il en est de même d’un homme d’étude, lorsqu’il se croit savant et que l’enflure de son cœur lui a corrompu l’esprit. Il devient, si cela se put dire, généreux et hardi contre la vérité. Quel-