Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/445

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quefois il la combat témérairement sans la reconnaître, et quelquefois il la trahit après l’avoir reconnue ; et, se confiant dans sa fausse érudition, il est toujours prêt de soutenir l’affirmative ou la négative, selon que l’esprit de contradiction le possède.

Il n’en est pas de même de ceux qui ne se piquent point de science ; ils ne sont point décisifs. Il est rare qu’ils parlent s’îls n’ont quelque chose à dire, et il arrive même assez souvent qu’ils se taisent dans le temps qu’ils devraient parler. Ils n’ont point cette réputation et ces marques extérieures de science, lesquelles engagent à parler sans savoir ce qu’on dit ; ils peuvent se taire. Mais les savants appréhendent de demeurer sans rien dire ; car ils savent bien qu’on les méprisera s’ils se taisent, lors même qu’ils n’ont rien à dire, et qu’on ne les méprisera pas toujours quoiqu’ils ne disent que des sottises, pourvu qu’ils les disent d’une manière scientifique.

Ce qui rend les hommes capables de penser les rend capables de la vérité ; mais ce ne sont ni les honneurs, ni les richesses, ni les degrés, ni la fausse érudition qui les rendent capables de penser, c’est leur nature. Ils sont faits pour penser parce qu’ils sont faits pour la vérité. La santé même du corps ne les rend point capables de bien penser ; tout ce qu’elle peut faire est de n’y mettre pas un si grand empêchement que la maladie. Notre corps nous aide en quelque manière à sentir et à imaginer, mais il ne nous aide point à concevoir. Car quoique sans le secours du corps nous ne puissions, en méditant, fixer nos idées contre l’effort continuel des sens et des passions, qui les troublent et qui les effacent à cause que nous ne pouvons présentement vaincre le corps que par le corps ; cependant il est visible que le corps ne peut éclairer l’esprit ni produire en lui la lumière de l’intelligence. Car toute idée qui découvre la vérité vient de la vérité même. Ce que l’âme reçoit par le corps n’est que pour le corps ; et lorsqu’elle se tourne vers les fantômes, elle ne voit que des illusions et des fantômes : je veux dire qu’elle ne voit point les choses comme elles sont en elles-mêmes, mais seulement les rapports qu’elles peuvent avoir avec le corps.

Si l’idée de grandeur ou de petitesse que nous avons de nous mêmes nous est souvent une occasion d’erreur, l’idée que nous avons des choses qui sont hors de nous et qui ont quelque rapport à nous ne fait pas une impression moins dangereuse. Nous venons de dire que l’idée de grandeur est toujours accompagnée d’un grand mouvement d’esprits, et qu’un grand mouvement d’esprits est toujours accompagné d’une idée de grandeur ; et qu’au contraire l’idée de petitesse est toujours accompagnée d’un petit mouvement d’esprits et qu’un petit mouvement d’esprits est toujours accompagné