Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/460

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che la possession. Mais cette idée produit seulement un mouvement d’aversion, lorsque c’est l’idée d’un mal qui nous fait souffrir de la douleur, parce que c’est par un même mouvement d’aversion que l’on hait la douleur et celui qui nous la fait souffrir.

Ainsi, il y a trois passions simples ou primitives qui regardent le bien, et autant d’autres qui regardent la douleur ou celui qui la cause, savoir : la joie, le désir et la tristesse. Car on a de la joie lorsque le bien est présent ou que le mal est passé ; on sent de la tristesse lorsque le bien est passé et que le mal est présent, et l’on est agité de désir lorsque le bien et le mal sont futurs.

Les passions qui regardent le bien sont des déterminations particulières du mouvement que Dieu nous donne pour le bien en général. et c’est pour cela que leur objet est réel ; mais les autres qui n’ont point Dieu pour cause de leur mouvement n’ont que le néant pour leur terme ; je veux dire que ces passions sont plutôt des cessations de mouvement que des mouvements réels ; on cesse alors de vouloir plutôt qu’on ne veut.


CHAPITRE X.
Des passions en particulier, et en général de la manière de les expliquer et de reconnaître les erreurs dont elles sont la cause.


Si l’on considère de quelle manière les passions se composent, on reconnaîtra visiblement que leur nombre ne se peut déterminer, et qu’il y en a beaucoup plus que nous n’avons de termes pour les exprimer. Les passions ne tirent pas seulement leurs différences de la différente combinaison des trois primitives, car de cette sorte il y en aurait fort peu ; mais leur différence se prend encore des différentes perceptions et des différents jugements qui les causent ou qui les accompagnent. Ces différents jugements que l’âme fait des biens et des maux produisent des mouvements différents dans les esprits animaux, pour disposer le corps par rapport à l’objet, et ils causent par conséquent dans l’âme des sentiments qui ne sont point entièrement semblables. Ainsi ils sont cause que l’on remarque de la différence entre certaines passions dont les émotions ne sont point différentes.

Cependant l’émotion de l’àme étant la principale chose qui se rencontre dans chacune de nos passions, il est beaucoup mieux de les rapporter toutes aux trois primitives dans lesquelles ces émotions sont fort différentes, que de les traiter confusément et sans ordre, par rapport aux différentes perceptions que l’on peut avoir d’une infinité de biens et de maux qui les causent.