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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/461

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Lorsque l'âme aperçoit un bien dont elle peut jouir, on peut dire peut-être qu’elle l’espère, quoiqu’elle ne le désire pas ; mais il est visible qu’alors son espérance n’est point une passion, mais un simple jugement. Car c’est l’émotion qui accompagne l’idée d’un bien, dont on juge que la jouissance est possible, qui fait que l’espérance est une passion véritable. Lorsque l’espérance se change en sécurité, c’est encore la même chose ; elle n’est passion qu’il cause de l’émotion de joie qui se mèle alors avec celle du désir ; car le jugement de l’âme qui considère un bien comme ne lui pouvant manquer, n’est une passion qu’à cause que l’avant-goût du bien nous agite. Enfin, lorsque l’espérance diminue et que le désespoir lui succède, il est encore visible que ce désespoir n’est une passion qu’à cause de l'émotion de la tristesse qui se mêle alors avec celle du désir ; car le jugement de l’âme qui considère un bien comme ne lui pouvant arriver, n’est point une passion si ce jugement ne nous agite.

Mais, parce que l’âme ne considère jamais de bien ou de mal sans quelque émotion et sans qu’il arrive même dans le corps quelque changement, on donne souvent le nom de passion au jugement qui produit la passion, à cause que l’on confond tout ce qui se passe et dans l’âme et dans le corps à la vue de quelque bien ou de quelque mal. Car les mots d’espérance, de crainte, de hardiesse, de honte, d’impudence, de colère, de pitié, de moquerie, de regret, enfin le nom de toutes les autres passions sont dans l’usage ordinaire, des expressions abrégées de plusieurs termes, par lesquels on peut expliquer en détail tout ce que les passions renferment.

On comprend par le mot de passion la vue du rapport qu’une chose a avec nous, l’émotion et le sentiment de l’âme, l’ébranlement du cerveau et le mouvement des esprits, une nouvelle émotion et un nouveau sentiment de l’âme, et enfin un sentiment de douceur qui accompagne toujours les passions et qui les rend toutes agréables. On entend toutes ces choses. Mais quelquefois on entend seulement par le nom de quelque passion, ou le jugement qui la cause, on l’émotion seule de l’âme, ou le mouvement seul des esprits et du sang, ou enfin quelque autre chose qui accompagne l’émotion de l’âme.

C'est une chose fort utile à la connaissance de la vérité que d’abréger les idées et leurs expressions ; mais souvent cela est cause de quelque erreur, principalement lorsque ces idées s’abrègent par un usage populaire. Car il ne faut jamais alléger ses idées que lorsqu’on se les est rendues très-claires et très-distinctes par une