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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/463

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Après toutes ces précautions, je crois pouvoir dire que toutes les passions se peuvent rapporter aux trois primitives, savoir : au désir, à la joie et à la tristesse, et que c’est principalement par les différents jugements que l’âme fait des biens et des maux, que celles qui se rapportent à une même passion primitive sont différentes entre elles.

Je puis dire que l’espérance, la crainte et l’irrésolution qui tient le milieu entre ces deux, sont des espèces de désirs ; que la hardiesse, le courage, l’émulation, etc., ont plus de rapport à l’espérance qu’à toutes les autres, et que la peur, la lâcheté, la jalousie, etc., sont des espèces de craintes.

Je puis dire que l’allégresse et la gloire, la faveur et la reconnaissance sont des espèces de joies causées par la vue du bien que nous connaissons en nous, ou dans ceux auxquels nous sommes unis ; comme le ris ou la moquerie est une espèce de joie qui s’excite ordinairement en nous á la vue du mal qui arrive à ceux desquels nous sommes séparés ; enfin que le dégoût, l’ennui, le regret. la piété et l’indignation sont des espèces de tristesses causées par la vue de quelque chose qui nous déplaît.

Mais outre ces passions et plusieurs autres que je ne nomme point, qui se rapportent particulièrement à quel qu’une des passions primitives, il y en a encore plusieurs autres dont l’émotion est presque également composée, ou de celle du désir et de la joie, comme l’impudence, la colère et la vengeance ; ou de celles du désir et de la tristesse, comme la honte, le regret et le dépit ; ou de toutes les trois ensemble, lorsqu’il se trouve des motifs de joie et de tristesse joints ensemble. Mais quoique ces dernières passions n’aient pas, que je sache, des noms particuliers, elles sont cependant des plus communes ; parce qu’en cette vie nous ne goûtons presque jamais de bien sans quelque mal, et que nous ne souffrons presque jamais de mal sans quelque espérance d’en être délivré et de jouir de quelque bien. Et quoique la joie soit entièrement contraire à la tristesse, elle la souffre néanmoins, et même elle partage avec cette passion la capacité que l’àmea de vouloir, lorsque la vue du bien et du mal partage la capacité que l’âme a d’apercevoir.

Toutes les passions sont donc des espèces de désirs, de joies et de tristesses. Et la principale différence qui se trouve entre les passions de même espèce, se tire des différentes perceptions ou des différents jugements qui les causent ou, qui les accompagnent. Si bien que pour se rendre savant dans les passions, et pour en faire le dénombrement le plus exact qui soit possible, il est nécessaire de rechercher les différents jugements que l’on peut faire des biens