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CHAPITRE XI.
Que toutes les passions se justifient, et des jugements qu’elles nous font faire pour leur justification.


Il n’est pas nécessaire de faire de grands raisonnements pour démontrer que toutes les passions se justifient ; ce principe est assez évident par le sentiment intérieur que nous avons de nous mêmes, et par la conduite de ceux que l’on voit agités de quelque passion : il suffit de l’exposer afin qu’on y fasse réflexion. L’esprit est tellement esclave de l’imagination, qu’il lui obéit toujours lorsqu’elle est échauffée. Il n’ose lui répondre lorsqu’elle est en fureur, parce qu’elle le maltraite s’il résiste, et qu’il se trouve toujours récompensé de quelque plaisir, lorsqu’il s’accommode à ses desseins. Ceux mêmes dont l’imagination est si déréglée qu’ils pensent être transformés en bêtes, trouvent des raisons pour prouver qu’ils doivent vivre comme elles ; qu’ils doivent marcher à quatre pattes, se nourrir des herbes de la campagne. et imiter toutes les actions qui ne conviennent qu’aux bêtes. Ils trouvent du plaisir à vivre selon les impressions de leur passion ; ils se sentent intérieurement punis lorsqu’ils y résistent ; et c’est assez afin que la raison qui s’accommode et qui sert ordinairement au plaisir, raisonne d’une manière propre pour en défendre la cause.

S’il est donc vrai que toutes les passions se justifient, il est évident que le désir nous doit porter par lui-même à juger avantageusement de son objet, si c’est un désir d’amour ; et désavantageusement, si c’est un désir, d’aversion. Le désir d’amour est un mouvement de l’âme excité par les esprits, qui la disposent à vouloir jouir ou user des choses qui ne sont point en sa puissance ; car si nous désirons même la continuation de notre jouissance, c’est que I”avenir ne dépend pas de nous. Il est donc nécessaire, pour la justification du désir, que l’objet qui le fait naître soit jugé bon en lui-même ou par rapport à quelque autre ; et il faut penser le contraire du désir qui est une espèce d’aversion.

Il est vrai qu’on ne peut juger qu’une chose soit bonne ou mauvaise, s’il n’y a quelque raison pour cela ; mais il n’y a aucun objet de nos passions qui ne soit bon en un sens. Si l’on peut dire qu’il y en a quelques-uns qui ne renferment rien de bon, et qui par conséquent ne puissent être aperçus comme bons par la vue de l’esprit ; on ne peut pas dire qu’ils ne puissent être goûtés comme bons, puisqu’on suppose qu’ils nous agitent ; et le goût ou le senti-