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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/469

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pays. Enfin leur raison n’est pas mieux conduite que leur langue ; car tous les recoins et tous les replis de leur mémoire sont tellement pleins d’étymologies, que leur esprit est comme étouffé par la multitude innombrable de mots qui voltigent sans cesse autour de lui.

Cependant il faut tomber d’accord que le désir bizarre des philologues se justifie. Mais comment ? Écoutez les jugements que ces faux savants font des langues, et vous le saurez. Ou bien supposez de certains axiomes qui passent parmi eux pour incontestables, et tirez-en les conséquences qui s’en peuvent déduire. Supposez par exemple que les hommes qui parlent plusieurs langues, sont autant de fois hommes qu’ils savent de langues, puisque c’est la parole qui les distingue des bêtes ; que l’ignorance des langues est la cause de l’ignorance où nous sommes d’une infinité de choses, puisque les anciens philosophes et les étrangers sont plus habiles que nous. Supposez de semblables principes et concluez, et vous formerez des jugements propres in faire naître la passion pour les langues, lesquels, par conséquent, seront semblables à ceux que la même passion forme dans les philologues pour justifier leurs études.

Toutes les sciences les plus basses et les plus méprisables ont toujours quelque endroit qui brille à l’imagination, et qui éblouit facilement l’esprit par l’eelat que la passion y attache. Il est vrai que cet éclat diminue, lorsque les esprits et le sang se refroidissent, et que la lumière de la vérité commence à paraître ; mais cette lumière se dissipe aussi lorsque l’imagination reprend feu, et nous ne faisons plus alors qu’entrevoir ces belles raisons qui prétendaient condamner notre passion.

Au reste, lorsque la passion qui nous anime se sent mourir, elle ne se repent pas de sa conduite. On peut dire au contraire qu’elle dispose toutes choses, ou pour mourir avec honneur, ou pour revivre bientôt après ; je veux dire qu’elle dispose toujours l’esprit à former des jugements qui la justifient. Elle contracte encore en cet état une espèce d’alliance avec toutes les autres passions qui peuvent la secourir dans sa faiblesse, la fournir d’esprits et de sang dans son intelligence, rallumer ses cendres et l’en faire renaître ; car les passions ne sont point indifférentes les unes pour les autres. Toutes celles qui se peuvent souffrir contribuent fidèlement à leur mutuelle conservation. Ainsi, les jugements qui justifient le désir qu’on a pour les langues ou pour telle autre chose qu’il vous plaira, sont incessamment sollicités et pleinement confirmés par toutes les passions qui ne lui sont point contraires.

Le faux savant se présente à lui-même, tantôt comme environné de gens qui l’écoutent avec respect, tantôt comme victorieux de