Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/498

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cordes exactement divisées, et que l’on sait que la corde qui sonne l’octa’e est en proportion double avec l’autre avec laquelle se fait l’octave ; que la quinte est en proportion sesquialtère ou de trois à deux, et ainsi des autres. Car l’oreille seule ne peut juger des sons avec la précision et la justesse nécessaire à une science. Les plus habiles praticiens, ceux qui ont l’oreille la plus délicate et la plus fine, ne sont pas encore assez sensibles pour reconnaître la différence qu’il y a entre certains sons ; et ils se persuadent faussement qu’il n’y en a point, parce qu’ils ne jugent des choses que par le sentiment qu’ils en ont. Il y en à qui ne mettent point de différence entre une octave et trois ditons[1]. Quelques-uns même s’imaginent que le ton majeur n’est point différent du ton mineur ; de sorte que le comma, qui en est la différence, leur est insensible, et à plus forte raison le schísma, qui n’est que la moitié du comma.

Il n’y a donc que la raison qui nous fasse manifestement voir que l’espace de la corde, qui fait la différence entre certains sons, étant divisible en plusieurs parties, il peut y avoir encore un très-grand nombre de différents sons utiles et inutiles pour la musique, lesquels l’oreille ne peut discerner. D’où il est clair que sans l’arithmétique et la géométrie la musique régulière et exacte nous serait inconnue, et que nous ne pourrions réussir en cette science que par hasard et par imagination ; c’est-à-dire que la musique ne serait plus une science fondée sur des démonstrations incontestables, quoique les airs que l’on compose par la force de l’imagination soient plus beaux et plus agréables aux sens que ceux que l’on compose par les règles.

De même dans les mécaniques la pesanteur de quelques poids et la distance du centre de pesanteur de ce poids d’avec le soutien étant capable du plus et du moins, l'une et l’autre se peuvent exprimer par des lignes. Ainsi, l’on se sert utilement de la géométrie pour découvrir et pour démontrer une infinité de nouvelles inventions très-utiles à la vie, et même très-agréables à l’esprit à cause de l’évidence qui les accompagne.

Si, par exemple, on a un poids donné, comme de six livres, que l’on veuille mettre en équilibre avec un poids de trois livres seulement, et que ce poids de six livres soit attaché au bras d’une balance éloigné du soutien de deux pieds ; sachant seulement le principe général de toutes les mécaniques : que les poids pour demeurer en équilibre doivent être en proportion réciproque avec leur distance du soutien, c’est-à-dire qu’un poids doit être à l’autre poids comme la distance qui est entre le dernier et le soutien

  1. Tierce majeure.