Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/508

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sont semblables, et que, dès qu’on connaît qu’une chose est égale à une autre connue, l’on en connaît exactement le rapport. Mais il n’en est pas de même de l’inégalité : on sait qu’une tour est plus grande qu’une toise et plus petite que mille toises, et cependant on ne sait point au juste sa grandeur et le rapport qu’èlle a avec une toise.

Pour comparer les choses entre elles, ou plutôt pour mesurer exactement les rapports d’inégalité, il faut une mesure exacte, il faut une idée simple et parfaitement intelligible, une mesure universelle et qui puisse s’accommoder à toute sorte de sujets. Cette mesure est l’unité ; c’est par elle qu’on mesure exactement toutes choses, et sans elle il est impossible de rien connaître avec quelque exactitude. Mais tous les nombres n’étant composés que de l’unité, il est déjà évident que, sans les idées des nombres, et sans la manière ne comparer et de mesurer ces idées, c’est-à-dire sans l’arithmétique, il est impossible d’avancer dans la connaissance des vérités composées.

Les idées ou les rapports entre les idées, en un mot les grandeurs, pouvant être plus grandes et plus petites que d’autres grandeurs, on ne peut les rendre égales que par le plus et par le moins, joints avec l’unité répétée autant de lois qu’il est nécessaire. Ainsi, ce n’est que par l’addition et la soustraction de l’unité et des parties de l’unité (lorsqu’on la conçoit divisée) que l’on mesure exactement toutes les grandeurs et que l’on découvre toutes les vérités. Or, de toutes les sciences, l’arithmétique et l’algèbre principalement sont les seules qui nous apprennent à faire ces opérations avec adresse, avec lumière, et avec un ménagement admirable de la capacité de l’esprit. Ces deux sciences sont donc les seules qui donnent à l’esprit toute la perfection et toute l’étendue dont il est capable, puisque c’est par elles seules que l’on découvre toutes les vérités qui se peuvent connaître avec une entière exactitude.

Car la géométrie ordinaire ne perfectionne pas tant l’esprit que l’imagination, et les vérités que l’on découvre par cette science ne sont pas toujours si évidentes que les géomètres s’imaginent. Ils pensent, par exemple, avoir exprimé la valeur de certaines grandeurs lorsqu’ils ont prouvé qu’elles sont égales à certaines lignes, qui sont les sous-tendues d’angles droits dont les côtés sont exactement connus, ou à d’autres qui sont déterminées par quelqu’une des sections coniques. Mais il est visible qu’ils se trompent ; car ces sous-tendues, par exemple, sont elles-mêmes inconnues. L’on connaît plus exactement V8 ou V20 qu’une ligne que l’on s’imagine ou que l’on décrit sur le papier, pour servir de sous-tendue à un angle