Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/516

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losophes dont je parle, parce qu’il est le père de cette philosophie qu’ils cultivent avec tant de soin, ne raisonne presque jamais que sur les idées confuses que l’on reçoit par les sens, et que sur d’autres idées vagues, générales et indéterminées, qui ne représentent rien de particulier à l’esprit. Car les termes ordinaires à ce philosophe ne peuvent servir qu’à exprimer confusément aux sens et à l’imagination les sentiments confus que l’on a des choses sensibles, ou à faire parler d’une manière si vague et si indéterminée, que l’on n’exprime rien de distinct. Presque tous ses ouvrages, mais principalement ses huit livres de physique, dont il y a autant de commentateurs différents qu’il y a de régents de philosophie, ne sont qu’une pure logique. Il n’y enseigne que des termes généraux dont on se peut servir dans la physique. Il y parle beaucoup et il n’y dit rien. Ce n’est pas qu’il soit diffus, mais c’est qu’il a le secret d’être concis et de ne dire que des paroles. Dans ses autres ouvrages il ne fait pas un si fréquent usage de ses termes généraux, mais ceux dont il se sert ne réveillent que les idées confuses des sens. C’est par ces idées qu’il prétend, dans ses problèmes et ailleurs, résoudre en deux mots une infinité de questions dont on peut donner démonstration qu’elles ne se peuvent résoudre.

Mais afin que l’on comprenne mieux ce que je veux dire, on doit se souvenir de ce que j’ai prouvé ailleurs, que tous les termes qui ne réveillent que des idées sensibles sont tous équivoques, mais ; ce qui est à considérer, équivoques par erreur et par ignorance, et par conséquent cause d’un nombre infini d’erreurs.

Le mot de bélier est équivoque, il signifie un animal qui rumine et une constellation dans laquelle le soleil entre au printemps ; mais il est rare qu’on s’y trompe. Car il faut être astrologue dans l’excès pour s’imaginer quelque rapport entre ces deux choses, et pour croire, par exemple, qu’on est sujet à vomir en ce temps-là les médecines que l’on prend, à cause que le bélier rumine. Mais pour les termes des idées sensibles, il n’y a presque personne qui reconnaisse qu’ils sont équivoques. Aristote et les anciens philosophes n’y ont pas seulement pensé. L’on en tombera d’accord si on lit quelque chose de leurs ouvrages ; et si l’on sait distinctement la cause pour laquelle ces termes sont équivoques. Car il n’y a rien de plus évident que les philosophes ont cru sur ce sujet tout le contraire de ce qu’il faut croire.

Par exemple, lorsque les philosophes disent que le feu est chaud, l’herbe verte, le sucre doux, etc., ils entendent, comme les enfants et le commun des hommes, que le feu contient ce qu’ils sentent lorsqu’ils se chauffent ; que l’herbe a sur elle les couleurs qu’ils y