Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/519

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peu arrondie par le froissement causé par le feu ; et ainsi des autres transmutations des corps.

Il est donc évident que les termes des idées sensibles sont entièrement inutiles pour proposer nettement et pour résoudre clairement les questions, c’est-à-dire pour découvrir la vérité. Cependant il n’y a point de questions, si embarrassées qu’elles puissent être par les termes équivoques des sens, qu’Aristote et la plupart des philosophes ne prétendent résoudre dans leurs livres, sans ces distinctions que nous venons de donner ; parce que ces termes sont équivoques par erreur et par ignorance.

Si l’on demande, par exemple, à ceux qui ont passé toute leur vie dans la lecture des anciens philosophes ou médecins, et qui en ont entièrement pris l’esprit et les sentiments, si l’eau est humide, si le feu est sec, si le vin est chaud, si le sang des poissons est froid, si l’eau est plus crue que le vin, si l’or est plus parfait que le vif-argent, si les plantes et les bêtes ont des âmes, et un million d’autres questions indéterminées, ils y répondront imprudemment, sans consulter autre chose que les impressions que ces objets ont faites sur leurs sens, ou ce que leur lecture a laissé dans leur mémoire. Ils ne verront point que ces termes sont équivoques ; ils trouveront étrange qu’on les veuille définir, et ils s’impatienteront si l’on tâche de leur faire connaître qu’ils vont un peu trop vite et que leurs sens les séduisent. Ils ne manqueront point de distinctions pour confondre les choses les plus évidentes, et dans ces questions, ou il est si nécessaire d’ôter l’équivoque, ils ne trouvent rien à distinguer. Si l’on considère que la plupart des questions des philosophes et des médecins renferment quelques termes équivoques semblables à ceux dont nous parlons, on ne pourra douter que ces savants, qui n’ont pu les définir, n’ont pu aussi rien dire de solide dans les gros volumes qu’ils ont composés, et ce que je viens de dire suffit pour renverser presque toutes les opinions des anciens. Il n’en est pas de même de M. Descartes : il a su parfaitement distinguer ces choses ; il ne résout point les questions par les idées sensibles, et, si l’on prend la peine de le lire, on verra qu’il explique d’une manière claire, évidente et souvent démonstrative, par les seules idées distinctes d’étendue, de figure et de mouvement, les principaux effets de la nature.

L’autre genre de termes équivoques dont les philosophes se servent comprend tous ces termes généraux de logique par lesquels il est facile d’expliquer toutes choses sans en avoir aucune connaissance. Aristote est celui qui en a le plus fait usage : tous ses livres