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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/520

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en sont pleins, et il y en a quelques-uns qui ne sont que pure logique. Il propose et résout toutes choses par ces beaux mots de genre, d’espèce, d’acte, de puissance, de nature, de forme, de facultés, de qualités, de cause par soi, de cause par accident. Ses sectateurs ont de la peine à comprendre que ces mots ne signifient rien, et qu’on n’est pas plus savant qu’on était auparavant quand on leur a ouï dire que le feu dissout les métaux parce qu’il a la faculté de dissoudre, et qu’un homme ne digère pas à cause qu’il a l’estomac faible ou que sa faculté curwoctríce ne fait pas bien ses fonctions.

Il est vrai que ceux qui ne se servent que de ces termes et de ces idées générales pour expliquer toutes choses ne tombent pas d’ordinaire dans un si grand nombre d’erreurs que ceux qui se servent seulement des termes qui ne réveillent que les idées confuses des sens. Les philosophes scolastiques ne sont pas si sujets à l’erreur que certains médecins décisifs, qui dogmatisent et font des systèmes sur quelques expériences dont ils ne connaissent point les raisons, parce que les scolastiques parlent si généralement qu’ils ne se hasardent pas beaucoup.

Le feu échauffe, sèche, durcit et amollit, parce qu’il à la faculté de produire ces effets. Le séné purge par sa qualité purgative ; le pain même nourrit, si on le veut, par sa qualité nutritive : ces propositions ne sont point sujettes à l’erreur. Une qualité est ce qui fait qu’on appelle une chose d’un tel nom, on ne peut le nier à Aristote ; car enfin cette définition est incontestable. Telles ou semblables manières de parler ne sont point fausses, mais c’est qu’en effet elles ne signifient rien. Ces idées vagues et indéterminées n’engagent point dans l’erreur, mais elles sont entièrement inutiles à la découverte de la vérité.

Car, encore que l’oh sache qu’il y a dans le feu une forme substantielle, accompagnée d’un million de facultés semblables à celles d’échauffer, de dilater, de fondre l’or, l’argent et tous les métaux ; d’éclairer, de brûler, de cuire ; si l’on me proposait cette difficulté à résoudre, savoir : si le feu peut durcir de la boue et amollir de la cire, les idées de formes substantielles et des facultés de produire la chaleur, la raréfaction ; la fluidité, etc., ne me serviraient de rien pour découvrir si le feu serait capable de durcir de la boue et d’amollir de la cire, n’y ayant aucune liaison entre les idées de dureté de la boue et de mollesse de la cire et celles de forme substantielle du feu et des qualités de produire la raréfaction, la fluidité ; etc. Il en est de même de toutes les idées générales. Ainsi elles sont entièrement inutiles pour résoudre aucune question.