Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/560

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à cause de leur évidence et de leur solidité, mais à cause qu’ils sont obscurs et semblables aux fantômes que l’on ne peut blesser, parce qu’ils n’ont point de corps.

Je ne m’arréte point aux définitions que donne Aristote de l’humidité et de la sécheresse, parce qu’il est assez évident qu’elles n’en expliquent point la nature : car selon ces définitions le feu n’est point sec, puisqu’il ne se contient pas facilement dans ses propres bornes ; et la glace n’est point humide, puisqu’elle se contient dans ses propres bornes, et qu’elle ne s’accommode pas facilement à des bornes étrangères. Il est vrai que la glace n’est point humide, si par humide l’on entend fluide ; mais si on l’entend ainsi, il faut dire que la flamme est fort humide, aussi bien que l’or et le plomb fondus. Il est vrai aussi que la glace n’est point humide, si par humide l’on entend ce qui s’attache aisément aux choses qui en sont touchées ; mais en ce sens, la poix, la graisse et l’huile sont beaucoup plus humides que l’eau, puisqu’elles s’attachent plus fortement que l’eau. En ce sens le vif-argent est humide, car il s’attache aux métaux ; et l’eau même n’est point parfaitement humide, car elle ne s’attache pas facilement aux métaux. Il ne faut donc pas recourir au témoignage des sens pour défendre les opinions d’Aristote.

Mais n’examinons pas davantage les merveilleuses définitions que ce philosophe nous a données des quatre qualités élémentaires, et Supposons aussi que tout ce que les sens nous apprennent de ces qualités est incontestable. Excitons encore notre foi, et croyons Que toutes ces définitions sont très-justes. Voyons seulement s’il est vrai que toutes les qualités des corps sensibles sont composées de ces qualités élémentaires : Aristote le prétend, et il doit lo prétendre, puisqu’il regarde ces quatre premières qualités comme les principes des choses qu’il veut nous expliquer dans ses livres de physique.

ll nous apprend donc que les couleurs l’engendrent du mélange des quatre qualités élémentaires : que le blanc se fait lorsque l’humidité surmonte la chaleur, comme dans les vieillards qui blanchissent ; le noir, lorsque l’humidité se sèche, comme dans les murs des citernes ; et toutes les autres couleurs, par de semblables mélanges : que les odeurs et les saveurs se font aussi par le différent mélange du sec et de l’humide causé par la chaleur et par la froideur, que la pesanteur même et la légèreté en dépendent. En un mot il est nécessaire, selon Aristote, que toutes les qualités sensibles soient produites par les deux qualités actives, la chaleur et la froideur, et soient composées des deux passives, l’humidité et la sé-