Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/561

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cheresse, afin qu’il y ait quelque connexion vraisemblable entre ses principes et les conséquences qu’il en tire.

Cependant il est encore plus difficile de se persuader toutes ces choses que toutes celles qu’on a jusqu’ici rapportées d’Aristote. On a de la peine à croire que la terre et les autres éléments ne seraient point colorés ou visibles s’ils étaient dans leur pureté naturelle et sans aucun mélange des qualités élémentaires, quoique de savants commentateurs de ce philosophe nous en assurent. On ne comprend pas ce que veut dire Aristote lorsqu’il assure que la blancheur des cheveux est produite par l’humidité, à cause que l’humidité des vieillards est plus forte que leur chaleur, quoique, pour tâcher de s’éclaircir de sa pensée, l’on mette la définition à la place du défini. Car il semble que ce soit un galimatias incompréhensible de dire que les cheveux blanchissent aux vieillards à cause que ce qui ne se contient pas facilement dans ses propres bornes, mais dans des bornes étrangères, surmonte ce qui assemble les choses de même nature. On n’a pas moins de peine à croire que la saveur soit bien expliquée, lorsqu’il dit qu’elle consiste dans le mélange de la sécheresse, de l’humidité et de la chaleur, principalement quand on met en la place de ces mots les définitions que ce philosophe leur donne, comme il serait utile de le faire si elles étaient bonnes. Et peut-être même qu’on ne pourrait s’empêcher de rire, si au lieu des définitions de la faim et de la soif que[1] donne Aristote, en disant que la faim est le désir du chaud et du sec, et la soif le désir du froid et de l’humide, on substituait les définitions de ces mots, appelant la faim le désir de ce qui assemble les choses de même nature et de ce qui se tient facilement dans ses propres bornes, et difficilement dans des bornes étrangères, et définissant la soif le désir de ce qui assemble les choses de même et de différente nature, et de ce qui ne se pouvant contenir facilement dans ses propres bornes, se contient facilement dans des bornes étrangères.

Certainement c’est une règle fort utile pour reconnaître si l’on a bien défini les termes, et pour ne se point tromper dans ses raisonnements, que de mettre souvent la définition à la place du défini ; car on connaît par là si les termes sont équivoques et les mesures des rapports fausses et imparfaites, ou si l’on raisonne conséquemment. Cela étant, que peut-on dire des raisonnements d’Aristote, qui deviennent un galimatias impertinent et ridicule lorsqu’on se sert de cette règle ? Et que doit-on dire aussi de tous ceux qui ne raisonnent que sur les idées fausses et confuses des sens, puisque cette règle, qui conserve la lumière et l’évidence dans

  1. Liv. 2, ch. 3, De anima.