Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/562

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tous les raisonnements justes et solides, n’apporte que de la confusion dans leurs discours ?

ll n’est pas possible d’exposer la bizarrerie et l’extravagance des explications que donne Aristote sur toutes sortes de matières. Lorsque les sujets qu’il traite sont simples et faciles, ses erreurs sont simples, et il est assez facile de les découvrir. Mais lorsqu’il prétend expliquer des choses composées et qui dépendent de plusieurs causes, ses erreurs sont pour le moins autant composées que les sujets qu’il traite, et il est impossible de les développer toutes pour les exposer aux autres.

Ce grand génie que l’on prétend avoir si bien réussi dans les règles qu’il a données pour bien définir, ne sait seulement quelles sont les choses qui peuvent être définies, parce que ne mettant point de distinction entre une connaissance claire et distincte et une connaissance sensible, il s’imagine pouvoir connaître et expliquer aux autres des choses dont il n’a pas seulement d’idée distincte. Les définitions doivent expliquer la nature des choses, et les termes qui les composent doivent réveiller dans l’esprit des idées distinctes et particulières. Mais il est impossible de définir de cette sorte les qualités sensibles de chaleur, de froideur, de couleur, de saveur, etc., lorsque l’on confond la cause avec l’effet, le mouvement des corps avec la sensation qui l’accompagne, parce que les sensations étant des modifications de l’âme, lesquelles on ne connaît point par des idées claires, mais seulement par sentiment intérieur, ainsi que j’ai expliqué dans le troisième livre[1], il est impossible d’attacher à des mots des idées que l’on n’a point.

Comme l’on a des idées distinctes d’un cercle, d’un carré, d’un triangle, et qu’ainsi l’on en connaît distinctement la nature, on en peut donner de bonnes définitions ; on peut même déduire des idées que l’on a de ces figures toutes leurs propriétés, et les expliquer aux autres par des termes auxquels on attache ces idées. Mais on ne peut définir la chaleur ni la froideur en tant que qualités sensibles ; car on ne les connaît point distinctement et par idée, on ne les connaît que par conscience ou par sentiment intérieur.

On ne doit point aussi définir la chaleur, qui est hors de nous, par quelques effets ; car si l’on substitue à sa place la définition qu’on lui donnera, l’on verra bien que cette définition ne sera propre qu’à nous jeter dans l’erreur. Si, par exemple, on définit la chaleur ce qui assemble les choses de même genre, sans rien dire davantage, on pourra, en suivant cette définition, prendre pour de la chaleur des choses qui n’y ont aucun rapport. On pourra dire que

  1. Deuxième partie, ch. 7. n. 4.