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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/572

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autres sciences, et que la connaissance de l’homme est absolument nécessaire à ceux qui veulent pousser un peu loin cette science, et c’est pour cela que la plupart des hommes n’y réussissent pas. Ils ne veulent pas se consulter eux-mêmes pour reconnaître les faiblesses de leur nature. Ils se lassent d’interroger le Maître qui nous enseigne intérieurement ses propres volontés, lesquelles sont les lois immuables et éternelles et les vrais principes de la morale. Ils n’écoutent point avec plaisir celui qui ne parle point à leurs sens, qui ne répond point selon leurs désirs, qui ne flatte point leur orgueil secret ; ils n’ont aucun respect pour des paroles qui ne frappent point l’imagination par leur éclat, qui se prononcent sans bruit, et que l’on n’entend jamais clairement que dans le silence des créatures. Mais ils consultent avec plaisir et avec respect Aristote, Sénèque, ou quelques nouveaux philosophes qui les séduisent ou par obscurité de leurs paroles, ou par le tour de leurs expressions, ou par la vraisemblance de leurs raisons.

Depuis le péché du premier homme nous n’estimons que ce qui a rapport à la conservation du corps et à la commodité de la vie, et parce que nous découvrons ces sortes de biens par le moyen des sens, nous en voulons faire usage en toutes rencontres. La sagesse éternelle qui est notre véritable vie, et*la seule lumière qui puisse nous éclairer, ne luit souvent qu’à des aveugles et ne parle souvent qu’à des sourds lorsqu’elle ne parle que dans le secret de la raison, car nous sommes presque toujours répandus au dehors. Comme nous interrogeons sans cesse toutes les créatures pour apprendre quelque nouvelle du bien que nous cherchons, il fallait, comme j’ai déjà dit ailleurs, que cette sagesse se présentât devant nous, sans toutefois sortir hors de nous, afin de nous apprendre, par des paroles sensibles et par des exemples convaincants, le chemin pour arriver à la vraie félicité. Dieu imprime sans cesse en nous un amour naturel pour lui, afin que nous l’aimions sans cesse ; et par ce même mouvement d’amour, nous nous éloignons sans cesse de lui en courant de toutes les forces qu’il nous donne vers les biens sensibles qu’il nous défend. Ainsi, voulant être aimé de nous, il fallait qu’il se rendît sensible et se présentât devant nous. pour arrêter, par la douceur de sa grâce, toutes nos vaines agitations, et pour commencer notre guérison par des sentiments ou des délectations semblables aux plaisirs prévenants qui avaient commencé notre maladie.

Ainsi, je ne prétends pas que les hommes puissent facilement découvrir par la force de leur esprit toutes les règles de la morale qui sont nécessaires au salut, et encore moins qu’ils puissent agir