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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/594

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ballon à demi enflé de vent, une pierre de 5 ou 6 cents pesant, ou, l’ayant mis sur une table, le couvrir d’un ais, et cet ais d’une fort grosse pierre, ou faire asseoir un homme des plus pesants sur cet ais, en lui donnant même la liberté de se retenir à quelque chose afin de résister à l’enflure du ballon ; car si quelqu’un souffle de nouveau seulement avec la bouche dans ce ballon, il soulèvera la pierre qui le comprime ou l’homme qui est assis dessus, pourvu que le canal par lequel le vent entre dans le ballon ait une soupape qui l’empêche de sortir lorsqu’il faut reprendre haleine. La raison de ceci est que l’ouverture du ballon est si petite ou doit être supposée si petite par rapport à toute la capacité du même ballon qui résiste par le poids de la pierre qu’une très-petite force est capable d’en vaincre une très-grande par cette manière.

Si l’on considère aussi que le souffle seul est capable de pousser une balle de plomb avec violence par le moyen des sarbacanes, à cause que la force du souffle ne se dissipe point et se renouvelle sans cesse, on reconnaîtra visiblement que la proportion nécessaire entre l’ouverture et la capacité du ballon étant supposée, le souffle seul peut vaincre facilement de très-grandes forces.

Si donc l’on conçoit que les muscles entiers ou chacune des fibres qui les composent ont comme ce ballon une capacité propre à recevoir les esprits animaux ; que les pores par où les esprits s’y insinuent sont peut-être encore plus petits à proportion que le col d’une vessie ou le trou d’un ballon ; que les esprits sont retenus et poussés dans les nerfs à peu près comme le souffle dans les sarbacanes, et que les esprits sont plus agités que l’air des poumons et poussés avec plus de force dans les muscles qu’il ne l’est dans les ballons ; on reconnaîtra que le mouvement des esprits qui se répandent dans les muscles peut vaincre la force des plus pesants fardeaux que l’on porte ; et que si on ne peut en porter de plus pesants, le défaut de force ne vient point tant du côté des esprits que de celui des fibres et des peaux qui composent les muscles, lesquels crèveraient si on faisait trop d’effort. D’ailleurs, si l’on prend garde que par les lois de l’union de l’âme et du corps les mouvements de ces esprits, quant à leur détermination, dépendent de la volonté des hommes, on verra bien que les mouvements des bras doivent être volontaires.

Il est vrai que nous remuons notre bras avec une telle promptitude qu’il semble d’abord incroyable que l’épanchement des esprits dans les muscles qui le composent puisse être assez prompt pour cela. Mais nous devons considérer que ces esprits sont extrêmement agités, toujours prêts à entrer d’un muscle dans l’autre, et