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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/622

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Je ne veux point apporter ici beaucoup de raisons que l’on peut dire pour prouver ces choses, ni répondre à quelques difficultés qu’on pourrait former sur ce qu’il y a des corps durs qui ne font point sensiblement ressort, et que l’on a cependant quelque difficulté à ployer ; car il suffit, pour faire évanouir ces difficultés, de considérer que la matière subtile ne peut pas facilement se faire des chemins nouveaux dans les corps qui se rompent lorsqu’on les ploie, comme dans le verre et dans l’acier trempé, et qu’elle le peut plus facilement dans les corps qui sont composés de parties branchues et qui ne sont point cassants, comme dans l’or et dans le plomb, et qu’enfin il n’y a aucun corps dur qui ne fasse quelque peu de ressort.

Il est assez difficile de se persuader que M. Descartes ait cru positivement que la cause de la dureté fût différente de celle qui fait le ressort ; et ce qui paraît plus vraisemblable, c’est qu’il n’a pas fait assez de réflexion sur cette matière. Quand on a médité long-temps sur quelque sujet et que l’on s’est satisfait sur les choses que l’on voulait savoir, souvent on n’y pense plus. On croit que les pensées que l’on en a eues sont des vérités incontestables qu’il est inutile d’examiner davantage. Mais il y a dans l’homme tant de choses qui le dégoûtent de l’application, qui le portent à des consentements trop précipités et qui le rendent sujet à l’erreur, qu’encore que l’esprit demeure apparemment satisfait, il n’est pas toujours bien informé de la vérité. M. Descartes était homme comme nous ; on ne vit jamais plus de solidité, plus de justesse, plus d’étendue et plus de pénétration d’esprit que celle qui paraît dans ses ouvrages ; je l’avoue, mais il n’était pas infaillible. Ainsi, il y a apparence qu’il est demeuré si fort persuadé de son sentiment, qu’il n’a pas fait réflexion qu’il assurait quelque chose dans la suite de ses Principes qui y était contraire. Il l’avait appuyé sur des raisons très-spécieuses et très-vraisemblables ; mais telles cependant qu’il n’était point comme forcé par elles de s’y rendre. Il pouvait encore suspendre son jugement, et par conséquent il le devait. Il ne suffisait pas d’examiner dans un corps dur ce qui peut y être qui le rende tel, il devait aussi penser aux corps invisibles qui peuvent le rendre dur, comme il y a pensé à la fin de ses Principes de philosophie, lorsqu’il leur attribue la cause du ressort ; il devait faire une division exacte et qui comprit tout ce qui pouvait contribuer à la dureté des corps. Il ne suffisait pas encore d’en chercher la cause dans la volonté de Dieu ; il fallait aussi penser à la matière subtile qui les environne. Car quoique existence de cette matière extrêmement agitée ne fût pas encore