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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/92

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sy plaisent, les uns aiment un genre de musique les autres un autre, selon la diversité presque infinie qui se trouve dans les fibres du nerf de l’ouïe, dans le sang et dans les esprits. Combien, par exemple, y a-t-il de diiïérence entre la musique de France, celle d’Italie, celle des Chinois et les autres, et par conséquent entre le goût que les différents peuples ont des différents genres de musique ! Il arrive même qu’en différents temps on reçoit des impressions fort différentes par les mêmes concerts ; car si l’on a l’imagination échauffée par une grande abondance d’esprits agités, on se plaît beaucoup plus à entendre une musique hardie et où il entre beaucoup de dissonances, que dans une musique plus douce et plus selon les règles et l’exactitude mathématique. L’expérience le prouve et il n’est pas fort difficile d’en donner la raison.

Il en est de même des odeurs. Celui qui aime la fleur d’orange ne pourra peut-être souffrir la rose, et d’autres au contraire.

Pour les saveurs il y a autant de diversité que dans les autres sensations. Les sauces doivent être toutes différentes pour plaire également à différentes-personnes, ou pour plaire également à une même personne en différents temps. L’un aime le doux, l’autre aime l’aigre. L’un trouve le vin agréable et l’autre en a de l’horreur ; et la même personne qui le trouve agréable quand elle se porte bien, le trouve amer quand elle à la fièvre, et ainsi des autres sens. Cependant tous les hommes aiment le plaisir ; ils aiment tous les sensations agréables ; ils ont tous en cela la même inclination. Ils ne reçoivent donc pas les mêmes sensations des mêmes objets, puisqu’ils ne les aiment pas également.

Ainsi, ce qui fait dire à un homme qu’il aime le doux, c’est que la sensation qu’il en a est agréable ; et ce qui fait qu’un autre dit qu’il n’aime pas le doux, c’est que selon la vérité il n’a pas la même sensation que celui qui l’aime. Et alors quand il dit qu’il n’aime pas le doux, cela ne veut pas dire qu’il n’aime pas à avoir la même sensation que l’autre, mais seulement qu’il ne l’a pas. De sorte que l’on parle improprement quand on dit qu’on n’aime pas le doux, on devrait dire qu’on n’aime pas le sucre, le miel, etc., que tous les autres trouvent doux et agréables, et qu’on ne trouve pas de même goût que les autres parce qu’on a les fibres de la langue autrement disposées.

Voici un exemple plus sensible : supposé que de vingt personnes il y en ait quel qu’une qui ait froid aux mains, et qui ne sache pas les noms dont on se sert en France pour expliquer les sensations de froideur et de chaleur, et que tous les autres au contraire aient les mains