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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/126

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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

XLIX

commenter les philosophes n’est pas philosopher.


Si quelqu’un se vante de pouvoir comprendre et expliquer les ouvrages de Chrysippe[1], dis en toi-même : Si Chrysippe n’eût écrit obscurément, cet homme n’aurait donc rien dont il pût se glorifier[2] ? Pour moi, qu’est-ce que je veux ? Connaître la nature, et la suivre. Je cherche donc qui peut me l’expliquer, et ayant entendu dire que c’est Chrysippe, je vais à lui. Mais je ne comprends pas ses écrits : je cherche qui me les explique. Jusqu’ici, rien dont je puisse être fier. Mais quand j’ai trouvé l’interprète, il me reste à pratiquer les préceptes qu’il m’explique : c’est là seulement ce qui peut me rendre fier. Et si je me contente d’admirer l’art d’interpréter, que suis-je autre chose qu’un grammairien, à la place d’un philosophe ? la seule différence, c’est que, au lieu d’Homère, j’explique Chrysippe. Que bien plutôt, si on me dit : « Explique-moi Chrysippe «, je rougisse de ne pouvoir montrer des actions en harmonie avec mes paroles !

  1. Chrysippe, le plus célèbre des écrivains stoïciens, naquit à Solès, dans la Cilicie, vers l’an 280. Il fut disciple de Cléanthe, et lui succéda comme chef du Portique. Ce fut l’homme qui écrivit le plus de l’antiquité ; mais, dans le nombre prodigieux de ses ouvrages, aucun ne nous est parvenu. Dialecticien subtil, on a dit de lui que, si les dieux voulaient se servir de la logique, ils ne pourraient employer que celle de Chrysippe. Avec lui, le stoïcisme déclina de la morale vers la logique, pour se perdre souvent dans les arguties et les jeux de mots. Il mourut vers l’an 207.
  2. De combien de commentateurs pourrait-on dire la même chose, maintenant encore ?