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Page:Mercure de France - 1900 - Tome 35.djvu/38

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le tueur de grenouilles

terre a une façon de crier vraiment terrible. C’est une muette qui n’émet que des grincements de dents. Si quelqu’un, homme ou bête, fait une chose défendue, elle essaye d’avertir, et, plus fidèle qu’un bon chien, elle ne gâte pas les affaires à coups de gueule inutiles ; un gravier qui roule, du sable qu’on presse, le bruit imperceptible d’une coquille d’escargot s’écrasant lui suffisent.

Et l’on broie toujours n’importe où de très petits os de mort, car la terre en est remplie. Et les petits os de mort protestent.

Quelqu’un venait certainement du côté des légumes. Un voleur ? Pour les oignons, sans doute. Le petit Toniot se leva de son bond habituel, d’un saut d’insecte ou de crapaud, nu des pieds à la tête, le sexe et les oreilles pointant. Il eut l’idée de réveiller son père, le grand Toniot, qui dormait dans leur seconde chambre, sous le fusil de chasse accroché au mur, le grand Toniot si fatigué du dernier affût.

Mais était-ce bien la peine de secouer un homme si fatigué, qui avait fini par aller dormir seul, en dehors de tous les discours ?

Le petit Toniot ne pensait pas à sa mère, parce que, pour lui, l’homme de dix ans, les femmes ne comptaient pas. Il les méprisait. Sa mère le battait, et il riait, silencieusement, derrière elle, car les femmes écartent les doigts pour frapper, ne vous envoient que de l’air à la figure ; ça claque et ça ne fait guère de mal ; tandis que les hommes, ça tape à poings clos ; le grand Toniot frappait très fort ainsi, et il avait beaucoup de respect pour son père, possesseur, en outre, d’un vrai fusil de chasse.

Décidément, c’était le voleur qui venait, celui des oignons. Le petit Toniot ne pouvait plus s’y trom-