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Page:Mercure de France - 1900 - Tome 35.djvu/39

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MERCURE DE FRANCE—VII-1900

per. Les osselets de morts protestaient. Tout moite de la sueur d’un mauvais sommeil, le léger corps du garçon se recroquevillait à l’angle d’un coffre de bois vermoulu où on serrait le pain et le lard, ces deux trésors de la maison. Il avait l’aspect d’un petit chat mouillé guettant le gros rat malgré qu’il fût transi, et son instinct de carnassier lui donnait l’âpre désir de flairer la proie. Si elle se montrait beaucoup plus grosse que lui, il saurait bien appeler le grand Toniot discrètement… comme la terre se plaint quand on lui pèse.

De son angle, le petit Toniot n’y voyait plus. La chambre n’avait pas d’autre fenêtre que la porte et le trou de la cheminée. Le jour, le soleil pénétrait par la porte. La lune se réservait le trou de la cheminée pour certains soirs, et elle passait par là des mains blanches, à travers la suie, caressait la bouilloire pendue et la faisait étinceler comme de l’argent. Cette lune éveillait toujours le petit Toniot, qui l’entendait briller. Ah ! pourquoi n’entrait-elle pas durant qu’il claquait des dents, épeuré au coin de son coffre ? C’est si bon, la lumière ! Et voilà qu’elle ouvrit miraculeusement la porte, la porte fermée au loquet en dedans. Oui, c’était bien la lune, en personne naturelle, une belle femme très blanche à cause de la noirceur de la nuit, une femme toute nue, un peu grasse, les hanches rebondies et pleines ainsi qu’il sied à un astre vivant, la gorge haute et dure, toute sa face voilée de cheveux roux.

Toniot n’avait jamais redouté les bêtes, ni les femelles, mais il fut terrifié par la lune déguisée en femme. Il fit, machinalement, le geste d’écarter ses cheveux noirs sur son front d’enfant têtu, et il vit, dans une inexprimable épouvante, ce geste se