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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/63

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XLIII
A L’ESPRIT DES LOIS.


Paris que ce livre est bien pernicieux, puisqu’il a été défendu à Vienne, de se prévaloir de l'autorité d’une si grande cour, et de faire usage du respect et de cette espèce de culte que toute l’Europe rend à l'impératrice [1]. » Tout n’était pas faux dans cette nouvelle ; les Jésuites s’étaient remués pour empêcher l’entrée de l'Esprit des lois en Autriche ; mais Van Swieten, premier médecin de la cour, et à ce titre, chose bizarre, bibliothécaire impérial, et président du comité de censure, ne voulut point se prêter à cette proscription littéraire ; il eut l’honneur de protéger Montesquieu.

En Prusse, on n’avait pas à craindre ces misérables tracasseries. L’Académie de Berlin , dont Montesquieu faisait partie, était pleine de Français qui admiraient leur illustre confrère. Le secrétaire de l’Académie de Berlin, Formey, fils de Français réfugiés, publia un extrait ou analyse de l'Esprit des lois des plus flatteurs, à en juger par la lettre que Montesquieu lui écrivit en 1751. « Je n’ai lu que très-tard le bel extrait de l'Esprit des lois qui est dans la Bibliothèque impartiale, que j’ai fait venir de Hollande sur la seule réputation de votre nom, ayant toujours recherché vos écrits, comme l'on a coutume de chercher la lumière !... Les grands hommes comme vous sont recherchés, on se jette à leur tête, etc. » A la distance où nous sommes, il paraît singulier d’entendre un pareil éloge ; on songe involontairement que Montesquieu vivait au bord de la Garonne ; mais Formey, aujourd’hui fort oublié, a eu son moment de gloire. C’était un de ces critiques laborieux qui font l'éducation du public en lui apprenant à connaître et à admirer les bons livres. Maltraité en France, Montesquieu devait être d’autant plus heureux de trouver des juges à Berlin.

Là-bas, d’ailleurs, régnait un roi philosophe, ou, pour mieux dire, un prince rusé qui savait habilement tourner au profit de son ambition l’admiration naïve des philosophes

  1. Lettre à M. de Stainville, du 27 mai 1750.