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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/64

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XLIV
INTRODUCTION


français. Tandis qu’à Versailles des ministres imbéciles croyaient sauver la religion et la société en empêchant l'Esprit des lois ou la Henriade de paraître en France, le grand Frédéric jouait avec Voltaire et ses amis une comédie, dont tout le bénéfice était pour lui. S’il flattait les apôtres des idées nouvelles, il recevait en échange un vernis de popularité qui lui permettait de tenter les coups de main les plus criminels, avec la complicité de ceux qui disposaient de l’opinion. Ce n’était pas de ce protecteur des lettres que Montesquieu avait rien à craindre ; il n’en pouvait attendre que des compliments ; mais Usbek était trop fin pour être la dupe du philosophe de Sans-Souci. « Les rois, écrit-il, seront peut-être les derniers qui me liront ; peut-être même ne me liront-ils pas du tout. Je sais cependant qu’il en est un dans le monde qui m’a lu, et M. de Maupertuis m’a mandé qu’il avoit trouvé des choses où il n’étoit pas de mon avis. Je lui ai répondu que je parierois bien que je mettrois le doigt sur ces choses [1]. » Peut-être n’est-il pas difficile de deviner ce qui n’agréait point au roi de Prusse. Frédéric II disait à Hertzberg que « Montesquieu ni Tacite ne pourraient jamais être traduits en allemand [2] » ; il connaissait son peuple. L’amour de la liberté, la haine du despotisme, le fier sentiment de l’honneur, tout cela est un langage étranger qui n’éveille point d’écho sur la terre d’Arminius. Les princes y ont mis bon ordre, à commencer par Frédéric ; il est plus commode de commander à des soldats que de régner sur des citoyens.

En Angleterre, le succès de l’Esprit des lois fut très-grand. Dès l’année 1750, Thomas Nugent en publia une excellente traduction [3]. Il était naturel que les Anglais reçussent avec faveur un livre qui faisait l’éloge non-seulement de leur Constitution, mais de leur caractère et de leurs mœurs. Mon-

  1. Lettre à l’abbé de Guasco, du 12 mars 1750.
  2. Vie de Frédéric II, t.2, pag. 68, édit. de 1792.
  3. Lettre à Thomas Nugent, du 18 octobre 1750.