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NOTES 733

beaucoup de changements en général très heureux, — à peu près comme M. Claudel quand il a récrit Tête d'Or et la Ville. Jean-Luc est vraiment d'un bout à l'autre un fort beau morceau, pris dans un rythme rude et simple, et dont l'émotion triste et brutale constitue une note d'art qu'on ne trouverait nulle part ailleurs. Il est rare que l'illustration d'un livre n'arrive pas à le gâter. Ici les gravures vraiment font corps avec le récit. Ce sont de beaux bois simples et solides, et leur présence nous aide sin- gulièrement à évoquer les personnages du roman, et surtout Jean-Luc, qui sont aussi des « bois ». L'art de M. Ramuz est bien d'un graveur sur bois ou plutôt d'un sculpteur sur bois : quelque chose de natif et de franc qui porte la marque de l'outil. Son parti-pris de simplification réussit sur tous ses caractères, mais particulièrement sur celui de Jean-Luc, un paysan mélancolique, trompé par sa femme, qui devient fou, la brûle, se tue. Ce tableau de vie rustique et de folie est plein de fatalité pesante et triste. On fait souvent au style de M. Ramuz des reproches divers, et certains de ses ouvrages peuvent en partie les justifier. Mais on ne rencontre dans Jean-Luc rien que de sain et de robuste. Le dessin de la phrase appartient bien à l'auteur, et l'oreille ne tarde pas à y prendre une grande satisfaction. On dirait par instant du Péguy discipliné. Le grand plaisir que donne ce style c'est qu'on le sent proche d'un parler, rafraîchi à la source vive d'un langage local que je reconnais assez proche de celui de Franche-Comté et de Bourgogne : je ne parle pas des mots, mais du dessin de la phrase, qu'on regrette de ne pas trouver aussi rustique et aussi pur dans le Chant de notre Rhône, où vraiment trop est trop.

ALBERT THIBAUDET

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UN HOMiME HEUREUX, par Jean Schïumherger (Edi- tions de la Nouvelle Revue Française).

Suivant un usage de plus en plus répandu, c'est le héros même qui est aussi le narrateur dans le récit de M. Schlumberger. Il faut peut-être chercher l'origine de ce goût dans un désir de concilier la littérature personnelle et la littérature impersonnelle, quand l'une et l'autre ont fait leurs preuves et se sont révélées chimériques. Puisqu'on ne peut, à aucun prix,