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NOTES 73 5

vues panoramiques que la mémoire sollicitée peut refléter, mais dont elle ne retient pas, à jamais captive et vive, l'image. Ainsi dépouillée, dénudée, rœu\Te n'est point devenue sèche, mais puissante ; et ce n'est pas un procédé ingénieux pour dissimule r une absence affligeante du sens descriptif (qu'on iise seulement la chute du grand cèdre Jéroboam : quel ami des forêts a rien écrit qui soit plus émouvant, plus sobre et plus retentis- sant ?) mais la concision d'un homme qui, poursuivant son âme à travers ses détours, ne veut pas s'écarter des voies au long desquelles elle chemine.

S'il faut m^iintenant apprécier le héros, je le plaindrai, sans le louer. Sans doute il est le champ d'un débat d'influences ; mais il cède à ces influences, il ne dirige pas la lutte, il n'est pas maître de son âme. Ce n'est rien sans doute que de posséder les conditions du bonheur ; il y faut une âme sereine, capable d'apprécier les biens dont elle dispose, tournée à les défendre, tendue contre les événements, et contre sa propre faiblesse. Biaise Eydieu est une âme inquiète, inégale au bonheur, moins attachée à se dompter, qu'abandonnée à suivre tous ses élans, oii qu'ils l'emportent. La vie a disposé autour de lui tous les agréments réguliers ; mais elle a, par un jeu inverse, déposé en lui le goût même de ce qui lui manque. Comblé, il ne dciire pas davantage ; il désire autre chose. Connaissant son bonheur, il ne le goûte pas ; il y renonce enfin, non qu'il se cotisidère indigne de si grands biens qu'il n'a pas conquis, mais qui lui sont offerts, ni qu'il veuille les mériter, en les sacrifiant pour un moment, ou bien, en les abandonnant, leur rendre un agrément qui se trouve épuisé par la possession (quoi qu'il y ait aussi un peu de tout cela). Il part, poussé par le désir de calmer l'appétit d'aventures, d'indépendance, de liberté, de solitude, qu'il a hérité de son père, et qui l'empêche, en l'agi- tant, d'apprécier ce qu'il sait pourtant qui a du prix.

Il sent la chaîne et rêve de partir libre et seul, vers des hori- zons lointains, dont l'incertitude l'attire, plus qu'elle ne l'enchante. Proprement, il ne s'élance pas, volontiers, vers un but qu'il a fixé; il s'abandonne à l'instinct qui l'entraîne, jusqu'au jour où, sa force instinctive épuisée, il pourra - revenir goûter le bonheur qu'il a fui, et renouer des liens dont il ne sentira, dès lors, que la douceur. Admirable carence de la

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