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740 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

peser la valeur des vieilles idées, d'y faire son choix, de rajeu- nir, par quelque application ingénieuse ou par quelque façon nouvelle de les dire, celles qu'on trouve qui sont justes, de réfléchir, en un mot ; où l'art de s'exprimer devient d'autant plus tortueux qu'on ne sait plus très bien ce qu'on veut expri- mer, et où l'obscurité du verbe dissimule, sous ses ténèbres, l'indigence de la pensée ; où l'on ne sait guère observer, entre ia rage du parti-pris et l'indifférence parfaite, ce calme élégant de l'esprit, qui comprend, apprécie, et goûte ou rejette, mais d'abord s'intéresse et ne se passionne pas. A cause de ces trois vertus, on lit M. Boulenger avec sécurité. Il en a d'autres. Il a du goût, je veux dire qu'il savoure, et qu'il choisit ses mets, de la finesse, de la clarté, et de la politesse. Peut-être un peu trop de politesse, et peut-être une politesse un peu trop intéressée, quand les lauriers qu'il célèbre sont brodés «^ur des parements ; du moins, s'il force la louange, elle ne tombe pas à faux, et ce ne sont pas ses compliments qui détonnent, mais leur excès qui surprend.

Je me permettrai un reproche. Il arrive à M. Boulenger d'an- noncer, avec le sourire satisfait d'un homme qui va tout casser : « Attention, vous allez bondir. Je vais dire tout le contraire de ce qu'on pense ». Et il le dit, et l'on ne bondit pas. On est un peu déçu ; on attendait une idée originale, on trouve une idée juste, que tous les bons esprits reconnaissent et saluent, dont le défaut est seulement d'être précédée de quelque fracas. Il me semble qu'une idée originale se conçoit autrement, et que de pren- dre le contre-pied d'une erreur courante est une preuve de rectitude d'esprit, plutôt qu'une grande nouveauté. Regarder à l'endroit une face qu'on a coutume de considérer à l'envers, est bon ; découvrir une vue nouvelle, faire voir un aspect inédit d'un sujet est meilleur. M. Boulenger n'y manque pas ; et il le fait sans un prélude de fanfares. Ma critique est petite, qui n'atteint pas la valeur d'un esprit, mais signale un défaut de présentation, et la seule faiblesse de ton qu'on rencontre dans son ouvrage.

M. Boulenger a beaucoup lu ses grands prédécesseurs ; il ne les a pas assez oubliés. On songe quelquefois, en lisant ses pages : « Tiens, je connais cela ». Il n'en est rien ; on est abusé par une ressemblance déforme, voire de tour d'esprit ; on a déjà lu, dans Lemaitre ou dans Sainte-Beuve, sous une apparence

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