Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/799

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n’approuve que les amitiés fondées sur l’intérêt. On s’occupe bien plus de ce qui est utile que de ce qui est honnête, et la fidélité reste ou disparaît avec la fortune ; à peine en est-il un sur mille qui trouve dans la vertu sa propre récompense. L’honneur même ne touche pas s’il est sans profit, et la probité gratuite laisse des remords. L’intérêt seul nous est cher ; ôtez à l’âme cupide l’espérance du profit, et après cela ne demandez à personne qu’il pratique la vertu. Aujourd’hui, chacun aime à se bien pourvoir, et compte avec anxiété sur ses doigts ce qui lui rapportera le plus. L’amitié, cette divinité autrefois si respectable, est à vendre, et, comme une propriété, attend qu’on vienne l’acheter. Je t’en admire d’autant plus, ô toi qui fus rebelle au torrent, et te tins à l’abri de la contagion de ce désordre général. On n’aime que celui que la fortune favorise ; l’orage gronde, et soudain met en fuite les plus intrépides. Autrefois, tant qu’un vent favorable enfla mes voiles, je vis autour de moi un cortège nombreux d’amis ; dès que la tempête eut soulevé les flots, je fus abandonné au milieu des vagues sur mon vaisseau déchiré. Quand la plupart ne voulaient même pas paraître m’avoir connu, à peine fûtes-vous deux ou trois qui me secourûtes dans ma détresse. Tu fus le premier, Maxime, et en effet tu étais bien digne, non pas de suivre les autres, mais au contraire de les attirer par l’autorité de ton nom ; donne l’exemple au lieu de le recevoir. L’unique profit que tu retires d’une action est le sentiment de l’avoir bien faite, car alors la probité, la conscience du devoir ont été ton seul guide. La vertu, dénuée de tout le cortège des biens étrangers à la nature, n’a point, selon toi, de récompense à attendre, et ne doit être recherchée que pour elle-même. C’est une honte, à tes yeux, qu’un ami soit repoussé parce qu’il est digne de commisération, et qu’il cesse d’être un ami parce qu’il est malheureux. Il est plus humain de soutenir la tête fatiguée du nageur que de la replonger dans les flots ! Vois ce que fit Achille après la mort de son ami, et crois-moi, ma vie est aussi une sorte de mort.

Thésée accompagna Pirithoüs jusqu’au rivage du Styx, et quelle distance me sépare de ce fleuve ! Le jeune Pylade ne quitta jamais Oreste livré à sa folie, et la folie est pour beaucoup dans ma faute. Accepte aussi ta part des éloges qu’ont mérités ces grands hommes, et continue, après ma chute, à me secourir de tout ton pouvoir. Si j’ai bien connu ton âme, si elle est encore ce qu’elle était autrefois, si elle n’a rien perdu de sa grandeur, plus la fortune est rigoureuse, plus tu lui résistes ; tu prends les mesures que l’honneur exige pour n’être pas vaincu par elle, et les attaques incessantes de ton ennemi rendent plus opiniâtre ta résistance. Ainsi la même cause me