Aller au contenu

Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des rois, qui ai porté l’épée et le masque, si je vous disais pourquoi m’y voici. Je détruirais une disparate nécessaire.

« On a su mes cinq années de réclusion dans une prison solitaire et chacun ignore encore pourquoi j’y suis entré et comment j’en suis sorti. Ma disgrâce reste un mystère et ma fuite un miracle. Les accessoires du fait n’existent pas. Les archives ne conservent aucune pièce de mon jugement et on n’a rien retrouvé des outils de mon évasion.

« Tout homme à s’expliquer se diminue. On se doit son propre secret. Toute belle vie se compose d’heures isolées. Tout diamant est solitaire et ses facettes ne coïncident à rien d’autre qu’à l’éclat qu’elles irradient.

« On peut, pour soi, et encore, avoir vécu chacun de ses jours ; aux autres il faut apparaître intermittent. Sa vie ne se raconte pas et il faut laisser à chacun le soin de se l’imaginer.»

Le Marquis allait et venait par la pièce. Le bout de sa canne sonnait sur le parquet. Un rayon de soleil scintilla aux bagues de ses doigts. Je le regardais marcher. Sa longue houppelande frôlait l’angle de la table et y éparpillait la