Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/76

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peureuse et, en la quittant, je lui promis de revenir le lendemain.

C’était un jour de fin d’automne ; il avait plu ; les rues restaient boueuses, les arbres s’effeuillaient, jaunes et rouges au crépuscule. La grande grille de l’hôtel se trouvait ouverte, le suisse sommeillait dans sa loge. J’entrai dans le vestibule et j’attendis un valet qui pût m’annoncer à Madame de Ferlinde. Sa chambre qui donnait sur le jardin était au bout d’une galerie. J’attendis encore. Rien ne bougeait dans la vaste demeure silencieuse. Personne ne vint et le temps passa. Un faible bruit arriva à mon oreille : j’écoutai plus attentivement et il me sembla entendre des soupirs étouffés, puis la chute d’un meuble renversé. J’hésitai, tout se tut. Tout à coup un cri déchirant partit de la chambre de Madame de Ferlinde. Je traversai en courant la galerie et je heurtai la porte qui s’ouvrit toute grande. Il faisait déjà sombre et voici ce que j’entrevis. Madame de Ferlinde gisait à demi nue sur le parquet, ses cheveux se répandaient en une longue flaque d’or et, accroupie sur sa poitrine, une sorte de bête velue, informe et hargneuse, l’étreignait et lui dévorait les lèvres.