Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tournèrent, la voiture franchit la grille. Le Palais se dressait au bout de la grand’place, grisâtre dans le petit jour. La cour d’honneur était déserte. Derrière la vitre d’une fenêtre de l’aile nord où se trouvaient les appartements du Prince, je l’aperçus guettant mon départ, la main au rideau qu’il laissa retomber à mon passage.

La route allait d’arbre en arbre, de borne en borne, de ville en ville. Les relais alternaient avec les auberges ; des ponts bombés sonnèrent ; des montées attardèrent l’attelage qui se hâtait aux descentes ; un bac me traversa un fleuve.

Je n’étais jamais allé à l’île de Cordic. Des passes périlleuses séparaient de la côte son port de pêcheurs, sa terre inculte... Vers le matin du troisième jour, je ressentis les approches de la mer. Les arbres se penchèrent, rabougris, noueux, comme pour mieux résister, par leurs musculatures naines, aux attaques du vent. L’air fraîchit ; à un détour j’aperçus les eaux. Elles s’étalaient, d’un gris tendre, sous un ciel pâle. Bientôt la route s’engagea sur une étroite presqu’île de pierre et de sable qui prolongeait sa nudité jusqu’à un humble village, à sa pointe. La voiture s’y arrêta et je descendis.