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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/93

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parcelles subsistaient encore, endormies, au fond de l’Altesse baroque. J’avais oublié que, dans le cabinet de poupées et de panoplies, seule, à l’écart, sous l’aigle d’or qui s’éployait, une main de justice crispait au mur, en un ivoire vieilli, son rude poing, celui de l’ancêtre fondateur.

Je marchai tout le jour. Je descendis à de petites plages creusées dans les fureurs de la falaise. Le sable y était rose ou bleuâtre ou gris, ailleurs presque rouge ; je trouvai des grottes, vert et or, pleines de galets, d’algues et de coquilles, avec des stalactites qui faisaient d’elles comme l’intérieur de carrosses de féerie. Toute ma vie me revenait en mémoire avec les fêtes, les mascarades et les plaisirs. J’entendais le rire des femmes. Leurs nudités sortaient une à une de la mer. Je comprenais alors la grâce de l’amour et la joie de la beauté. Je m’y sentais appelé par toutes les forces de ma jeunesse qu’un ordre imprévu sommait si inopinément de choisir entre son orgueil et son désir.

Je revins au petit port. La soirée fut triste.

Je revis tourner à leur piquet les moutons noirs ; ils me paraissaient tracer autour de moi